Introduction
Du 27 octobre 2015 au 21 février 2016 se tient au Château de
Versailles une exposition un peu particulière, centrée autour de l’événement
majeur de la monarchie française au 1er septembre 1715, il y a trois
cents ans de cela : Louis XIV, le monarque au règne de 72 ans, meurt finalement
d’une gangrène généralisée après plusieurs semaines d’agonie. Après la Fronde,
les innombrables guerres et la domestication de la noblesse dans les
magnificences du Château de Versailles, cette mort se devait d’être à l’image
des nombreux rituels de la vie quotidienne qui émaillaient la vie de Louis le
Grand.
Let's do this ! |
L’exposition consiste en une dizaine de salles, contenant
leur lot de tableaux, d’objets et de quelques panneaux descriptifs. L’essentiel
de la visite se fait toutefois grâce à l’audioguide. La question royale de la
mort est un sujet suffisamment intéressant en lui-même pour un article, alors
allons-y.
a) Première salle : la mort d’un roi
La première salle, où commence et finit la visite, est
bercée par la musique de recueillement et plongée dans une semi-obscurité,
comme le reste des salles. Le bilan du règne se focalise sur un ensemble assez
complet de médailles royales, illustrant des victoires militaires notamment, et
l’oraison funèbre consiste à accentuer la réussite du roi dans le domaine du
gouvernement, de la guerre, de la diplomatie, de la religion et des arts.
C’est, à peu de choses près, le bilan que retirera Voltaire
dans Le Siècle de Louis XIV, paru en
1751.
b) Deuxième
salle : l’agonie de Louis
Les premiers symptômes du mal royal apparaissent le 10 août
1715, ce qui n’empêche pas le roi de continuer ses rituels quotidiens et à
travailler avec ses ministres. Seulement, le 24 août, la gangrène est
diagnostiquée. Le récit du Marquis de Dangeau nous permet de suivre pas à pas
la lente agonie du roi.
Après l’extrême-onction et la gestion de la succession,
c’est le repos, seul, si ce n’est pour faire des adieux à ses proches le 26 août,
au Dauphin de 5 ans, et finalement à Mme de Maintenon le 30 août. On l’aurait
entendu dire « Je m’en vais, mais l’Etat demeurera toujours »,
citation bien plus véridique que celle apocryphe disant « l’Etat c’est
moi ». Finalement, à 8h23, le 1er septembre, c’est la fin de
l’agonie de trois semaines, et Louis XIV s’éteint. Le roi est mort, vive le roi
Louis XV… Mais en fait, pas tout de suite.
On retrouve des tableaux divers, et surtout des extraits de
documentaires, comme celui fameux de Sacha Guitry Si Versailles m’était conté (1954).
c) Troisième
salle : l’autopsie et l’embaumement
C’est ici que les nombreux rituels se mettent en route. Une
demi-heure après la mort, l’autopsie révèle la gangrène qui occupe toute la
partie gauche du corps. Un curieux rituel s’engage alors : le roi est
ouvert, et les entrailles sont prélevées pour être conservé à part. Même chose
pour le cœur. Ensuite, le corps est littéralement empaillé : on y rajoute
de l’herbe, du sel et d’autres ingrédients. Le corps est ensuite refermé,
entouré de bandages et placé dans un cercueil.
Cette séparation entre le corps, les entrailles et le corps
permet de séparer les lieux de sépulture. Ce rituel est courant dans l’Europe
monarchique pour témoigner de la puissance des monarques et pour favoriser
certains établissements. Dans les vitrines, on retrouve les accessoires des
médecins, à l’apparence peu engageante, notamment ceux qui devaient servir à
retirer les entrailles ou à ouvrir le corps… Beurk.
d) Quatrième
salle : l’exhibition et l’effigie
L’exposition du corps du souverain pendant un certain temps
est nécessaire pour la passation des pouvoirs. Deux coutumes diffèrent dans
l’Europe monarchique. La première, commune aux Anglais et aux Français, était
d’utiliser une effigie en bois représentant le roi, muni des attributs royaux
et servi encore pendant un certain temps par les officiers du roi.
Mais la France se met avec Louis XIII à suivre la tradition
des Habsbourg commune à l’Espagne et au Saint-Empire Romain Germanique, où
c’est bel et bien le corps du souverain lui-même qui est présenté, habillé et
couvert des attributs de la royauté.
Pour Louis XIV, cette exposition a duré un seul jour,
puisqu’ensuite la chambre de Mercure ne comportait que le cercueil du roi et le
reliquaire contenant le cœur du roi. Dans la chambre de Mars, des musiciens
jouaient sans relâche. Dans la chambre d’Apollon, 72 membres du clergé récitent
des masses et des prières sans discontinuer. Les officiels de la cour et les
délégations officiels, en tenue de deuil, venaient asperger le cercueil d’eau
bénite.
Reproduction en miniature de la Chambre de Mercure. |
En huit jours, du 2 au 9 septembre, l’exposition du roi
était finie, et son cercueil fut transporté à Saint-Denis.
e) Cinquième salle :
le deuil de la cour
Un cérémonial suit de
facto la mort du roi. Le style vestimentaire a une importance considérable,
comme le choix de la couleur, entre noir, blanc et pourpre. Après tout, pendant
son long règne, le roi a vu mourir bon nombre de membres de sa famille. C’est
lui qui décidait des vêtements d’un grand deuil, d’un petit deuil ou d’un
demi-deuil. Les domestiques et même les draps devaient suivre le même
cérémonial.
La question des apparences à la cour était cruciale. Et la
mort de Louis XIV est restée dans cette mouvance.
f) Sixième salle :
la procession
Une fois le roi mort puis exhibé, une longue procession
démarre pour le conduire de Versailles à Saint-Denis, sans passer par Paris :
cet exploit était assez simple à réaliser puisqu’à l’époque, Paris faisait un
peu plus de 13 km2, contre 105 aujourd’hui.
Pour Louis XIV, ou ce qu’il en restait, la procession a duré
de 20h le 9 septembre à 6h le 10 septembre, soit 10 heures. Le tout était suivi
par 2500 personnes, au milieu des hautbois, des tambours et des torches. Cette
longue file de personnes était composée de l’élite de la société, et les plus
puissants ne marchaient évidemment point dans leur carrosse.
g) Septième salle :
le service funéraire
Pour le cercueil funéraire, on prépare une gigantesque
estrade dans Saint-Denis : on appelle cela un catafalque. Celui de Louis
XIV est massif, faisant près de 30m de haut, et orné de petites statues symbolisant
ses vertus. Du 10 septembre au 23 octobre, le cercueil royal est maintenu dans
une chapelle avant l’inhumation finale.
Reproduction du catafalque (en moins grand et en moins doré) |
L’abbaye royale de Saint-Denis a depuis les Mérovingiens un
lien étroit avec la royauté à la française, et a été souvent agrandie et
rénovée, notamment par l’abbé Suger à la fin du XIIe siècle.
Il s’agit aussi d’une nécropole royale : le premier
mérovingien à y être inhumé est Dagobert 1er (602-639), roi des
Francs de 629 à 639. Les rois y sont enterrés périodiquement entre les
Carolingiens, les Capétiens, les Valois et les Bourbons. Le troisième Bourbon
roi de France, Louis XIV, y est en tous les cas enterré.
La cérémonie avant l’inhumation finale dans la crypte se
passa de la manière suivante le 23 octobre : d’abord, à la lueur des
bougies, la musique royale fut jouée ; puis l’oraison funèbre commença, et
dura cinq heures, en présence de tous les officiels, dont le petit-fils du roi,
le futur Louis XV. Les bannières furent finalement baissées, les insignes de la
chevalerie et de la royauté retirés, et on proclama haut et fort la formule
rituelle « Le Roi est mort, vive le Roi ! ».
i) Neuvième salle :
tombes et mausolée
Contrairement aux Valois, la crypte royale des Bourbons
manquait de grandeur, mais aucun des rois n’eut le temps d’y remédier. Louis XV
rejoint son père dans la crypte royale à sa mort en 1774, et tout le monde sait
ce qui arriva à Louis XVI le 21 janvier 1793.
Quant au cœur du roi, il fut envoyé aux Jésuites, montrant
la faveur royale dont ils bénéficiaient. Ce don du cœur (et des entrailles), au
sens propre du terme, permet de se placer sous la protection d’un saint ou de
favoriser une fondation pieuse. Le cœur de Louis XIV fut donc transporté dans
le Marais, et ses entrailles furent placées aux pieds d’un autel au sein même
de la cathédrale Notre-Dame, pour honorer la Vierge Marie.
j) Dixième salle :
les cérémonies funéraires royales et leurs conséquences
Après ce très long voyage post-mortem, il convient d’aller
encore plus loin. La dernière salle de l’exposition a pour but de montrer
comment une certaine tradition funéraire inspirée de la monarchie a perduré.
Malgré le sac de Saint-Denis en 1793 et la violation des cryptes royales, qui
mettent d’ailleurs fin à tout ce qu’on vient d’évoquer jusqu’ici, la
Restauration, mise en place entre 1814 et 1815 par Louis XVIII pendant que
Napoléon 1er subit ses dernières défaites remet en place cette tradition :
une cérémonie funéraire royale fut instaurée pour Louis XVI et Marie-Antoinette
(exécutée le 16 octobre 1793), ainsi que pour Louis XVIII (en 1824).
La modification des pratiques était liée à l’ère du temps,
puisque les personnalités royales n’étaient pas les seules à bénéficier de ce
traitement. Le 4 avril 1791, la Basilique Sainte-Geneviève est renommée
Panthéon, et est destinée à recevoir les restes des grands hommes : le premier
panthéonisé après une longue procession au cœur de Paris est Mirabeau
(1749-1791), puis le 11 juillet 1791 c’est au tour de Voltaire (1694-1778). Depuis
le Panthéon sert encore et toujours à recevoir les restes des grands hommes
avec la devise sur le fronton disant « Aux grands hommes la patrie
reconnaissante ».
Le convoi funéraire est le même de Voltaire à Victoire Hugo
(1802-1885). Ce dernier bénéficie même d’une exposition d’une nuit sous l’Arc
de Triomphe. C’est d’ailleurs en cette
année 1885 que la Troisième République (1870-1940) prend officiellement comme
monument national le Panthéon. L’exposition insiste sur les funérailles du
président Sadi Carnot (1837-1894), poignardé par un anarchiste italien le 24
juin 1894 en pleine présidence : il est panthéonisé en grande pompe.
Conclusion
La mort du roi est un sujet cérémonial sensible. Après le
règne de Louis XIV et l’étiquette royale stricte imposée à la cour, il ne
pouvait en être autrement pour la mort. Chirurgie royale, exposition, deuil,
procession, oraison funèbre, inhumation : de la mort du roi à la fin de
son parcours ritualisé il se sera écoulé près de 53 jours. Il faudra 53 fois
moins de temps pour violer la crypte.
Mais cette tradition funèbre s’est étonnamment transmise à
la République. De Mirabeau à Victor Hugo, jusqu’aux derniers panthéonisés de
2015 avec parmi eux Jean Zay (1904-1944), une même tradition se poursuit dans
une logique « nationale », autour de ce monument de 1791 qu’est le
Panthéon. Processions et services funèbres télévisuels, on se rend bien compte
que cette tradition se maintient depuis plusieurs siècles. Dans une République
qui a besoin de grandes figures tutélaires, il n’est pas étonnant qu’une mythologie
nationale, civique et laïque ait pu être à l’œuvre à partir de la IIIe
République : était-elle destinée à remplacer une mythologie royale et
religieuse ? Sûrement.