jeudi 9 février 2017

Chronique Géopolitique 06 : Tensions maritimes en Mer de Chine (Asie du Sud-Est)

Avec les déclarations récentes du nouveau président des Etats-Unis, Donald John Trump, capable de réduire à néant en un tweet des décennies de contact diplomatique, les tensions en Mer de Chine se font plus vives. D’autant plus que le récent retrait des Etats-Unis vis-à-vis du partenariat transpacifique, destiné à concurrencer la Chine, ainsi que l’augmentation des budgets et des effectifs militaires chinois, ou japonais, et même le contact téléphonique en décembre entre l'île de Taïwan, revendiquée par la Chine, et l'actuel président, tout cela augure d’une situation assez conflictuelle.

Des îles et des ressources

A l’origine de ces disputes territoriales, un chapelet d’îles et d’îlots, au nombre approximatif de 200, et des milliers de récifs compris dans une bande maritime de 3 000 km de long. Cette zone maritime est fortement fréquentée, notamment par les flux commerciaux par voie maritime. On estime ainsi qu’1/3 du commerce international transite dans ces eaux. Ceci est notamment dû à une région en bonne croissance économique depuis plusieurs dizaines d’années, les fameux « dragons » puis « tigres » : la Chine, la Corée du Sud, le Japon, Taiwan, les Philippines, la Malaisie, Brunei, Singapour, le Vietnam. Tous n’ont pas les mêmes revendications. 
 
Des zones de revendication se surimposant les unes les autres (site de Libération).

Si en Mer de Chine orientale, le différend entre le Japon et la Chine se concentre autour des îles Senkaku, la situation est bien plus complexe en Mer de Chine méridionale. Outre les multitudes de récifs couverts une bonne partie de l’année par les eaux, on retrouve une rivalité territoriale entre le Vietnam et la Chine autour des îles Paracels, mais aussi entre la Chine, le Vietnam, les Philippines, la Malaisie et Brunei autour des îles Spratley. Dans une région parcourue par un transit commercial fort, riche en ressources halieutiques, au sous-sol maritime riche en hydrocarbures, les tensions se font vives, car la Chine revendique, contre le droit international fixant les limites des ZEE, des droits « historiques ».

Une opposition interétatique

Après l’accaparement en 2012 d’un atoll revendiqué par les Philippines, et après le maintien d’une force militaire chinoise, Manille a saisi la Cour Permanente d’Arbitrage (La Haye), qui règle les conflits d’ordre maritime en vertu de la convention de 1982 de Montego Bay, réglementant le droit de la mer, entre eaux intérieures et zone économique exclusive. En juillet 2016, l’arrêt du CPA donne raison à Manille, mais la Chine refuse tout compromis. 
 
Malgré les différends, la présence chinoise s'affirme, contre le droit international défendu par le CPA (Figaro)


Le but de la Chine, en investissant ces îlots, est de développer une ZEE, dont le bénéfice serait profitable dans une région commercialement riche. Pour cela, il faut habiter les îles, ou encore que ces îles génèrent une activité économique. De plus, l’artificialisation de certains atolls et de haut-fond aboutit à la génération d’une « Grande Muraille de Sable », selon l’expression américaine forgée en 2015, face à l’essor de cette pratique : ainsi, des ports artificiels pouvant servir au ravitaillement des navires de guerre font leur apparition, suivies par de nombreuses bases militaires chinoises, occasionnant des tensions locales très fortes face à ce qui s'apparente à une militarisation illégale. La menace, et l'incapacité de la communauté internationale à faire infléchir la Chine, qui se retrouve proche de la Russie au Conseil de Sécurité sur de nombreux points, inquiètent les pays voisins.
 
Exemple d'artificialisation, vue par satellite.

Le cas de Taïwan

On ne compte évidemment pas l’île de Taïwan, refuge en 1949 des républicains chinois face à la victoire des communistes, et qui est depuis lors revendiqué par la République Populaire de Chine. Depuis 1971, en pleine Guerre Froide, Taïwan perd son statut de représentant de la Chine à l’ONU au profit de la République Populaire de Chine, récemment sortie du giron russe. Les Etats-Unis reconnaissent en 1978 Pékin, et rompent les relations diplomatiques avec Taïwan en 1979. Le coup de téléphone de décembre 2016 entre M. Trump et la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen récemmen élue en mai 2016 change quelque peu la donne, ce qui augure de relations tendues entre les deux états, accentuées par des tweets et des promesses de campagne. L’île de Taïwan reste vue par la Chine comme une province non-indépendante appartenant légitimement au régime, et qui ne souffre d’aucun besoin d’intervention extérieure de la part des autres états. L’île est ainsi le foyer de tensions majeures. 
 
La première femme présidente de Taïwan resserre les liens diplomatiques avec les pays au sud de la Mer de Chine.

D’autant plus que les bases militaires des Américains, des Chinois et des autres acteurs se font face, ménageant une sorte d’équilibre, menaçant de s’écrouler à tout moment. Le premier porte-avions chinois, mis en service en 2011, se retrouve aujourd’hui déployé près de Taïwan, et des missions aériennes chinoises s’approchent dangereusement de l’espace aérien taïwanais. De fait, le Japon et les autres états augmentent leurs efforts militaires navals à leur tour, alors que la VIIe Flotte Américaine patrouille dans l’Océan Pacifique. Les tensions géopolitiques en Mer de Chine restent en 2017 l’objet de vives inquiétudes.

samedi 4 février 2017

Point d'Histoire 02 - Une histoire de couleurs - Un bleu neutre ? (2)

Point d'Histoire 02 - Une histoire de couleurs


Un bleu neutre ? (2)

Le bleu apparaît comme une couleur docile, disciplinée, consensuelle, qui trône en tête des couleurs préférées par les Occidentaux depuis les années 1890. Seulement, M. Pastoureau rappelle que le bleu était méprisé dans l’Antiquité, et que le chemin n’a pas été évident pour cette couleur maintenant inscrite dans les jeans et les institutions internationales telle l’ONU. 



I. Un mépris antique

La première barrière à sa reconnaissance tenait aux moyens techniques nécessaires à le fabriquer. Cette difficulté empêchait le bleu de s’inscrire dans la vie sociale, religieuse et symbolique des Romains ou des Grecs. Dans l’Antiquité, il était même infamant de posséder des yeux bleus, synonymes de mauvaise vie. Parallèlement, les Germains utilisaient déjà beaucoup cette couleur. Les Grecs rapprochaient le bleu du gris et du vert, tant et si bien qu’on a parfois cru que leurs yeux ne discernaient pas le bleu. Ce qui n’est pas totalement faux : on ne peut voir que ce qu’on nous a appris à voir. Mais les yeux des Grecs n’avaient aucun défaut particulier. 


Carte d'Eratoshtène (276, 194) reconstituée et traduite.

On passe de quelques esclaves habillés en bleu à une nouvelle mode dans les deux premiers siècles après Jésus-Christ, au cœur de la période impériale. Le vert, le violet et le bleu se développent, ce qui pousse Pline, Juvénal ou encore Martial à s’insurger contre ces nouvelles pratiques vestimentaires. Dans la Bible hébraïque, qui ne contient aucune mention de couleur, les traductions latines se sont employées à traduire riche par rouge, sale par gris ou noir, et éclatant par pourpre. Pas de place pour le bleu. Même les cartes figuraient la mer verte, noire, ou blanche.

II. Du bleu religieux au bleu consensuel

Ce sont les XIIe et XIIIe siècles qui modifient la donne, la Vierge portant le bleu devenant son principal promoteur. Le blanc, le noir et le rouge sont par ailleurs trop limités dans une société voulant classifier et hiérarchiser, via les armoiries. Dans le nouveau système de couleurs, le bleu devient le contraire du rouge. Les armoires du roi de France depuis Louis VII (1137-1180) sont alors significatives : l’azur semé de fleurs de lis d’or se veut consensuel et pacifique, contrairement aux armoires dépeignant des monstres et portant le rouge violent, à l’image des armoiries anglaises. La culture des « coques » se multiplie dans les pays de cocagne, créant une véritable industrie capable de concurrencer les marchands de garance (une sorte de rouge), d’autant plus que les églises revalorisent cette couleur dans leurs vitraux. 


Un vitrail à Arc-en-Barrois montrant la Vierge.

Le rigorisme de la Réforme enclenchée par Luther au XVIe siècle se retrouve aussi dans des couleurs dépouillées, blanc, noir, gris, brun et bleu, bien différents du rouge triomphant de l’Eglise papiste. Le bleu plus ou moins revivifié est suivi par le commerce, puisque l’indigo des Antilles et de l’Amérique Centrale crée des crises économiques dans les régions de cocagne. Vient ensuite le bleu du romantisme, la couleur mélancolique à l’origine du « blues » et enfin le jeans du tailleur Lévi-Strauss en 1850 avec une teinture indigo facile à apposer. Le bleu, d’origine républicaine, face au blanc monarchiste et au noir clérical, finit par se faire déborder par le rouge sur sa gauche et glisse dès lors vers le centre. La couleur bleu est aujourd’hui consensuelle : ONU, UNESCO, Europe, c’est la couleur du calme et de la réflexion.


Vieille publicité pour le blue jeans.

Liste des épisodes :

- Episode 01 : Culture et couleur.
- Episode 02 : Un bleu neutre ?
- Episode 03 : Rouge.
- Episode 04 : Blanc.
- Episode 05 : Vert.
- Episode 06 : Jaune.
- Episode 07 : Noir.
- Episode 08 : Les demi-couleurs.

Point d'Histoire 02 - Une histoire de couleurs - Culture et Couleur (1)

Point d'Histoire 02 - Une Histoire de Couleurs


Culture et Couleur (1)

Michel Pastoureau est un historien médiéviste spécialisé dans la symbolique et l’héraldique. Il travaille notamment sur la symbolique des couleurs et des animaux. Outre l’ouvrage dont nous allons nous occuper aujourd’hui, et qui est plus un ouvrage grand public, on trouve par exemple Bleu. Histoire d’une couleur (2002), Noir. Histoire d’une couleur (2008), Le Cochon. Histoire d’un cousin mal aimé (2009) ou encore Vert. Histoire d’une couleur (2013). C’est Dominique Simonnet, éditeur, auteur, ancien journaliste et théoricien de l’écologisme qui mène la danse dans une interview vulgarisatrice pour comprendre comment notre vision des couleurs a été façonnée au long de l’histoire, et par quels codes nous continuons à prolonger ces traditions. 

Seuil, 2015

En effet, le point principal de l’ouvrage que nous allons étudier au fil des épisodes de ce nouveau point d'histoire est de nous rendre compte que les couleurs ont une symbolique propre, et qu’on les regarde différemment suivant notre temps, nos sociétés et notre représentation du monde. La culture, déterminée pour chaque individu par la société et l’éducation, façonne en nous un arrière-plan mental définissant nos rapports particuliers aux différentes couleurs. Replacer les couleurs dans l’histoire, c’est redécouvrir des codes et des mentalités propres à des peuples et des sociétés. Le voyage chromatique offert par ce livre est donc une réussite, et nous allons nous atteler à le résumer, pour que vous ne soyez plus totalement trompés par vos sens. 

Introduction à l'histoire des couleurs

Avant toute chose, il faut comprendre ce que sont les couleurs. M. Pastoureau garde la classification d’Aristote et ses six couleurs, à savoir le bleu, le rouge, le blanc, le jaune, le vert et le noir, et rajoute à cela cinq « demi-couleurs » que sont le violet, le rose, l’orangé, le marron et le gris. Le reste fait partie du domaine des nuances. 

Liste des épisodes :

- Episode 01 : Culture et couleur.
- Episode 02 : Un bleu neutre ?
- Episode 03 : Rouge.
- Episode 04 : Blanc.
- Episode 05 : Vert.
- Episode 06 : Jaune.
- Episode 07 : Noir.
- Episode 08 : Les demi-couleurs.