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mardi 12 septembre 2017

« Fire and Fury », la question nord-coréenne en suspens (Point Actu, 12/09/2017)

(Cet article est disponible sur mon site). Nous avons présenté dans la dernière chronique géopolitique la Corée du Nord, cet état non-identifié, juridiquement en guerre avec la Corée du Sud depuis 1950, et qui fait l’objet d’un certain nombre de sanctions venant de l’ONU et des acteurs de la région du Pacifique pour son développement en sous-main de l’arme nucléaire, et ses essais balistiques. Depuis, les choses ont empiré, et les experts se creusent la tête pour trouver une solution diplomatique, entre négociations et sanctions.

« Fire and Fury » (D. Trump, 8 août 2017)


Le régime a réalisé un nombre exceptionnel d’essais balistiques cette année. Le dix-huitième missile, un ICBM pour « intercontinental ballistic missile », lancé le 29 août, a parcouru près de 2700 kilomètres en passant, chose exceptionnelle, dans l’espace aérien japonais, trois jours après l’essai la même journée de trois missiles balistiques à courte portée tombés en mer du Japon. Quant au programme nucléaire, il arrive semble-t-il à son terme, avec l’essai « réussi » d’une bombe thermonucléaire le 3 septembre, le sixième du régime.


Photo du régime non datée.

Ces essais ont ravivé les tensions dans une Asie déjà divisée. La Chine et la Russie sont les partenaires privilégiés de la Corée du Nord, les Japonais et les Coréens du Sud s’inquiètent de la pertinence des sanctions de l’ONU, d’autant plus que la Corée du Sud est en première ligne, et les Américains possèdent à moins de 3500 km de la péninsule coréenne la base de Guam, ainsi que la VIIe Flotte de l’US Navy, faisant face à quelques difficultés, notamment après un accident mortel entraînant le retrait du vice admiral Joseph Aucoin.

« Paix impossible, guerre improbable » ? (R. Aron, 1948)


Mais davantage que ces manifestations physiques et ces relations entre états, on note que c’est la lutte des mots qui a pris le pas sur la lutte militaire. On connaissait déjà la communication par l’invective du régime nord-coréen, proférant menaces diverses à l’égard des autres régimes et glorifiant tout ce qu’entreprend Kim Jong-Un et son état-major, mais le 45e président des Etats-Unis a fait fort en promettant à la Corée du Nord « fire and fury » le 8 août 2017 si elle franchissait la ligne rouge, entraînant évidemment une réponse, et un tollé diplomatique.


A ne pas confondre (malheureusement) avec la chanson du groupe Skillet ou la bande originale de Starcraft 2.

Malgré tout, la plupart des spécialistes de la question nord-coréenne plaident pour la négociation. La Corée du Nord s’est en effet construite autour de la menace américaine, et a développé l’arme nucléaire pour être prête à réagir à une attaque possible, tout en sachant que ses possibilités de provoquer le conflit et de le gagner sont extrêmement limitées. Une guerre nucléaire ne serait donc pas profitable au régime, ni d’ailleurs aux acteurs de la région.

Qui veut la paix ?


Toutefois, les leviers de la négociation restent peu efficients. Les sanctions commerciales et économiques pèsent sur la Corée du Nord depuis plusieurs années, sans l’empêcher de continuer son programme militaire et ses divers essais, aidée qu’elle est en sous-main par ses alliés. Les nouvelles sanctions votées hier à l’ONU ont d’ailleurs dû s’adapter aux demandes de la Chine et de la Russie, membres permanents du Conseil de Sécurité, afin de limiter une partie des sanctions, concernant notamment les importations de pétrole et le rapatriement des expatriés nord-coréens.


Les sanctions d’hier (11 septembre 2017).

Deux couples se dessinent. D’un côté, les Américains et les Sud-Coréens, qui organisent chaque année des exercices communs centrés sur les réponses à apporter en cas de conflit avec la Corée du Nord ; de l’autre, la Chine et la Russie, alliées du régime, et qui s’entendent assez bien pour promouvoir dans leur communication leur volonté d’apaiser les tensions, loin des propos chocs d’un Donald Trump, tout en organisant eux aussi chaque année des exercices conjoints dans l’océan Pacifique, et même dans la mer Baltique le 24 juillet 2017. Cette bataille de la communication reste d’actualité, les acteurs se rejetant mutuellement la faute de l’exacerbation des tensions.

Le bouclier anti-missiles sud-coréen


Les sanctions votées par l’ONU hier vont donc se mettre en branle, tandis que la coopération militaire américano-sud-coréenne se solidifie. En effet, le Terminal High Altitude Area Defense est un système de missiles antibalistiques développé par la firme américaine Lockheed Martin, et dont les premiers éléments en Corée du Sud ont été déployés fin avril 2017, après des négociations débutées deux mois plus tôt face aux essais nord-coréens. Après l’essai nucléaire de septembre 2017, il a été renforcé, ce qui a entraîné une manifestation sud-coréenne faisant 38 blessés.


Essai militaire de missile antibalistique.

Ce bouclier antimissile suit trois éléments distincts : un puissant radar détectant le missile, un centre de contrôle appelé TFCC pour THAAD Fire Controls/Communications, et qui organise la riposte, et un lanceur de missiles en lien avec le TFCC, la plupart du temps porté par un camion pour améliorer sa mobilité, projetant si besoin est un missile antibalistique, qui ne porte aucune charge explosive et vient percuter le missile adverse en recourant uniquement à son énergie cinétique (Ec (en joules) = 1/2mv2).

Conclusion


Quoi qu’il en soit, la Chine ne veut pas de l’influence américaine, matérialisée dans le THAAD, la VIIe Flotte et les exercices conjoints avec la Corée du Sud, tandis que les Américains les accusent d’aider la Corée du Nord, et voient d’un mauvais œil le rapprochement avec la Russie, du Pacifique à la Baltique, mais aussi les visées territoriales chinoises en mer de Chine. La Corée du Nord profère des menaces, la Russie reste un peu en retrait en promettant vouloir avec la Chine la paix, la Corée du Sud renforce son bouclier anti-missiles et se félicite avec le Japon des nouvelles sanctions prises contre la Corée du Nord. Tout reste à faire pour apaiser les tensions dans ce point chaud de la planète.


Manifestation sud-coréenne après le renforcement du THAAD.

Les autres Points d’Actu :

jeudi 13 avril 2017

Chronique Géopolitique 07 : La Corée du nord, état non identifié (Asie de l'est)

On entend régulièrement parler des "méfaits" de ce petit état situé dans la péninsule coréenne, au contact de la Chine, de la Russie, et de la Corée du sud, ainsi que de la mer du Japon à l'est, et la mer jaune à l'ouest. La communauté internationale a mis au ban cet état jugé autoritaire, dictatorial, dont aucune information non filtrée par le régime, ni même des individus, ne peuvent entrer ou sortir, et où les images sont très rares pour le public occidental. Mis au ban des organisations internationales et régulièrement condamné par elles pour préparation de l'arme atomique, on a l'impression que cet état est resté à l'âge de la Guerre Froide, préparant la guerre nucléaire et se mettant à portée de tir des Etats-Unis, comme le rappelle le dirigeant actuel, Kim Jong-Un. Comment ce petit état menaçant réussit-il à se maintenir en place malgré tout ?


La Guerre de Corée (1950-1953)

Après la Seconde Guerre Mondiale, les deux Grands, en l'occurrence les Etats-Unis et l'URSS, commencent à s'opposer à partir de deux visions du monde diamétralement opposées. C'est la période de la Guerre Froide, où deux blocs se forment autour des deux Grands, et où les guerres se font dans des espaces périphériques et non pas en confrontation directe. On passe sur toutes les étapes de ce conflit pour rappeler que l'OTAN, alliance militaire des Etats-Unis, est fondée en 1949, la même année de la fin de la guerre civile en Chine. La Chine est divisée depuis la chute de la dynastie Quing en 1911 entre des "seigneurs de guerre". Après les longues luttes au sein de l'état, puis contre le Japon, deux partis émergent : le parti communiste chinois et le Kuomintang (parti nationaliste). En 1949, reprenant l'avantage, Mao Zedung, le dirigeant du PCC depuis 1935, réussit à exiler les nationalistes à Taïwan, et deux états chinois voient le jour (on en parlait ici). 

La Guerre de Corée.

Aussi, la guerre de Corée va être la première émanation de cette Guerre Froide. La Corée est déjà partagée en deux, entre Soviétiques et Américains sur le 38e parallèle. Après la fin de l'occupation japonaise, les communistes du nord, appuyés par la Chine nouvellement communiste et l'Union Soviétique, attaquent en 1950 les républicains du sud, et les États-Unis réagissent immédiatement avec leurs alliés en projetant des forces pour appuyer les Coréens du sud. Cette guerre civile dure trois années, avec une poussée nord-coréenne rejetée par la débarquement des troupes américaines du général MacArthur, entraînant l'intervention de centaines de milliers de volontaires chinois. Au bout de 3 ans, et plus d'un million de morts, l'armistice est signée et organise la partition de la Corée en deux entités. La guerre n'est toujours pas terminée, mais une zone démilitarisée est mise en place entre les deux Corée.

La question nucléaire

La Corée du nord et la Corée du sud prennent des directions différentes du fait de leurs alliances respectives. La Corée du sud se retrouve ainsi dans le système-monde, tandis que la Corée du nord s'appuie plus que jamais sur son plus grand allié, la Chine. La Corée du nord s'industrialise et vise l'auto-suffisance, et commence à libéraliser son économie en 2002, par l'introduction de zones franches. Toutefois, c'est la question nucléaire qui plombe ses relations. Accusée en 2003 de tenter depuis 1989 d'acquérir l'arme atomique, elle procède à ses premiers essais en 2006, s'occasionnant l'ire de la communauté internationale. Malgré des négociations et des promesses, le programme nucléaire reprend dès 2008.


En 2009, après un autre essai nucléaire, le conseil de sécurité des Nations Unies impose des sanctions économiques et commerciales via la résolution 1874. Toutefois, le programme nucléaire continue, et l'allié reste la République populaire de Chine. Certaines sources indiquent même que la Corée du nord est moins isolée diplomatiquement qu'on ne le pense (avec notamment des tractations commerciales militaires avec l'Iran par l'intermédiaire de la Chine révélées en 2010 par Wikileaks). Les tensions continuent, parfois assorties de sanctions, de rétropédalages, et de nouvelles tensions. Le régime oscille entre bonnes intentions et essais nucléaires, réduisant sa crédibilité mais permettant de maintenir le cap. D'autant que l'état peut agir comme une zone-tampon entre la Chine et la Corée du sud, toujours appréciable tant les tensions en Mer de Chine sont intenses.

La crise des missiles

Cette course à l'armement est toujours d'actualité : le 12 février 2017, Pyongyang tire un missile balistique, tombant très proche du Japon, tir félicité officiellement par le régime et dénoncé par le Japon, la Corée du sud et les Etats-Unis. L'ambition affichée de l'actuel dirigeant est de pouvoir être à portée de tir des Etats-Unis. Le 6 mars, trois autres tirs ont lieu. Le 5 avril, un autre tombe en mer du Japon. Le 8 et 9 avril, les Etats-Unis annoncent l'envoi du porte-avions Carl Vinson et de son escadre, dans une région où manoeuvrent déjà par précaution la Corée du sud et le Japon.

L'escadre américaine, envoyée "par mesure de précaution".

Cette nouvelle crise illustre une nouvelle fois comment la Corée du nord s'y prend pour agir en toute impunité. Après une montée en puissance, la Chine veut agir diplomatiquement, de nouvelles sanctions sont votées, et il s'agit de voir dans les prochains jours si une crise majeure peut avoir lieu, en sachant que le discours du dirigeant nord-coréen reste assez belliciste. L'intervention des Américains reste exceptionnelle dans cette zone, d'autant qu'elle fait suite au tir américain de 59 missiles sur une base aérienne syrienne, augurant un tournant de l'administration Trump. 

Une région en crise

Les inimités entre les états de la zone sont légions, et la Corée du nord concentre les tensions. La Chine, malgré les rappels à l'ordre du régime, le soutient et est prête à jouer le rôle d'intermédiaire, empêchant l'isolement diplomatique du régime. Les sanctions internationales isolent la Corée du nord économiquement et commercialement, mais les zones franches et la Chine agissent comme des passerelles pour ce petit état. Malgré les sanctions internationales et le danger de cet état dont on ne sait au final que peu de choses, la Corée du nord se maintient. L'escadre américaine et les tirs de missiles balistiques rendent la situation encore plus tendue, et il s'agit de voir si cette crise de 2017 pourra être résolue diplomatiquement.

jeudi 9 février 2017

Chronique Géopolitique 06 : Tensions maritimes en Mer de Chine (Asie du Sud-Est)

Avec les déclarations récentes du nouveau président des Etats-Unis, Donald John Trump, capable de réduire à néant en un tweet des décennies de contact diplomatique, les tensions en Mer de Chine se font plus vives. D’autant plus que le récent retrait des Etats-Unis vis-à-vis du partenariat transpacifique, destiné à concurrencer la Chine, ainsi que l’augmentation des budgets et des effectifs militaires chinois, ou japonais, et même le contact téléphonique en décembre entre l'île de Taïwan, revendiquée par la Chine, et l'actuel président, tout cela augure d’une situation assez conflictuelle.

Des îles et des ressources

A l’origine de ces disputes territoriales, un chapelet d’îles et d’îlots, au nombre approximatif de 200, et des milliers de récifs compris dans une bande maritime de 3 000 km de long. Cette zone maritime est fortement fréquentée, notamment par les flux commerciaux par voie maritime. On estime ainsi qu’1/3 du commerce international transite dans ces eaux. Ceci est notamment dû à une région en bonne croissance économique depuis plusieurs dizaines d’années, les fameux « dragons » puis « tigres » : la Chine, la Corée du Sud, le Japon, Taiwan, les Philippines, la Malaisie, Brunei, Singapour, le Vietnam. Tous n’ont pas les mêmes revendications. 
 
Des zones de revendication se surimposant les unes les autres (site de Libération).

Si en Mer de Chine orientale, le différend entre le Japon et la Chine se concentre autour des îles Senkaku, la situation est bien plus complexe en Mer de Chine méridionale. Outre les multitudes de récifs couverts une bonne partie de l’année par les eaux, on retrouve une rivalité territoriale entre le Vietnam et la Chine autour des îles Paracels, mais aussi entre la Chine, le Vietnam, les Philippines, la Malaisie et Brunei autour des îles Spratley. Dans une région parcourue par un transit commercial fort, riche en ressources halieutiques, au sous-sol maritime riche en hydrocarbures, les tensions se font vives, car la Chine revendique, contre le droit international fixant les limites des ZEE, des droits « historiques ».

Une opposition interétatique

Après l’accaparement en 2012 d’un atoll revendiqué par les Philippines, et après le maintien d’une force militaire chinoise, Manille a saisi la Cour Permanente d’Arbitrage (La Haye), qui règle les conflits d’ordre maritime en vertu de la convention de 1982 de Montego Bay, réglementant le droit de la mer, entre eaux intérieures et zone économique exclusive. En juillet 2016, l’arrêt du CPA donne raison à Manille, mais la Chine refuse tout compromis. 
 
Malgré les différends, la présence chinoise s'affirme, contre le droit international défendu par le CPA (Figaro)


Le but de la Chine, en investissant ces îlots, est de développer une ZEE, dont le bénéfice serait profitable dans une région commercialement riche. Pour cela, il faut habiter les îles, ou encore que ces îles génèrent une activité économique. De plus, l’artificialisation de certains atolls et de haut-fond aboutit à la génération d’une « Grande Muraille de Sable », selon l’expression américaine forgée en 2015, face à l’essor de cette pratique : ainsi, des ports artificiels pouvant servir au ravitaillement des navires de guerre font leur apparition, suivies par de nombreuses bases militaires chinoises, occasionnant des tensions locales très fortes face à ce qui s'apparente à une militarisation illégale. La menace, et l'incapacité de la communauté internationale à faire infléchir la Chine, qui se retrouve proche de la Russie au Conseil de Sécurité sur de nombreux points, inquiètent les pays voisins.
 
Exemple d'artificialisation, vue par satellite.

Le cas de Taïwan

On ne compte évidemment pas l’île de Taïwan, refuge en 1949 des républicains chinois face à la victoire des communistes, et qui est depuis lors revendiqué par la République Populaire de Chine. Depuis 1971, en pleine Guerre Froide, Taïwan perd son statut de représentant de la Chine à l’ONU au profit de la République Populaire de Chine, récemment sortie du giron russe. Les Etats-Unis reconnaissent en 1978 Pékin, et rompent les relations diplomatiques avec Taïwan en 1979. Le coup de téléphone de décembre 2016 entre M. Trump et la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen récemmen élue en mai 2016 change quelque peu la donne, ce qui augure de relations tendues entre les deux états, accentuées par des tweets et des promesses de campagne. L’île de Taïwan reste vue par la Chine comme une province non-indépendante appartenant légitimement au régime, et qui ne souffre d’aucun besoin d’intervention extérieure de la part des autres états. L’île est ainsi le foyer de tensions majeures. 
 
La première femme présidente de Taïwan resserre les liens diplomatiques avec les pays au sud de la Mer de Chine.

D’autant plus que les bases militaires des Américains, des Chinois et des autres acteurs se font face, ménageant une sorte d’équilibre, menaçant de s’écrouler à tout moment. Le premier porte-avions chinois, mis en service en 2011, se retrouve aujourd’hui déployé près de Taïwan, et des missions aériennes chinoises s’approchent dangereusement de l’espace aérien taïwanais. De fait, le Japon et les autres états augmentent leurs efforts militaires navals à leur tour, alors que la VIIe Flotte Américaine patrouille dans l’Océan Pacifique. Les tensions géopolitiques en Mer de Chine restent en 2017 l’objet de vives inquiétudes.

mercredi 14 décembre 2016

Chronique Géopolitique 04 – Alep, la cité en ruines (Proche-Orient)

Le braquage des médias

Dans tous les médias, on parle du sort d’Alep. Ancienne capitale économique de la Syrie, elle était partagée entre rebelles et forces gouvernementales depuis 2012, et était le lieu d’une lutte sans merci. Mais alors que la situation était bloquée, la région est devenue une véritable poudrière, avec l’émergence de l’Etat Islamique s'étendant de l'Irak à la Syrie, profitant de la faiblesse des moyens étatiques, et le retour des rivalités. Seules les alliances du dirigeant alaouite lui ont permis de réaliser cette percée redoutable dans la ville d’Alep. Les bombardements et les combats, de plus en plus intenses, ont vu la ville être finalement en voie d’être reconquise entièrement. 


Un avant-après évocateur ici.

Ce que les médias oublient, en revanche, c’est que cette région du monde qui attire largement les regards a été oubliée pendant cinq ans. Par intervalles, le monde braquait ses jumelles sur le terrain jonché de décombres, en parlant d’armes bactériologiques, d’accords, de trêves, et puis laissaient tomber, tandis que les combats continuaient dans l’indifférence générale, toujours plus meurtriers. Aujourd’hui toutefois, tous les médias sont unanimes : c’est un vrai drame qui se joue à Alep, et le monde est impuissant. 

Alep partagée

En 2010/2011, le "Printemps Arabe" qui touche le Maghreb, et met à la porte certains dirigeants, se télescope en Syrie. Le président alaouite Bachar al-Assad, gouvernant une majorité de sunnites, est contesté. De nombreuses manifestations éclatent. L’armée intervient alors, et une partie des manifestants prennent les armes. La guerre civile éclate. Une coalition internationale rentre dans le combat libyen, touché par une crise similaire, mais en Syrie, les insurgés se battent contre l’armée syrienne. Différents groupes aux motivations diverses rentrent dans le combat. 


Manifestation contre le régime en juillet 2011 à Hamas

A Alep, l’offensive rebelle démarre en 2012. Mais la résistance est féroce, et les insurgés toisent les soldats du gouvernement pendant près de quatre ans, tenant chacun une partie de la ville. Depuis septembre 2016, la ville est assiégée à nouveau par les forces pro-gouvernementales, et les insurgés sont bloqués dans Alep-est. Fin novembre 2016, pour 250 000 personnes vivant encore dans cette partie de la ville, on retrouve entre 10 000 et 20 000 combattants. Un tiers des rebelles font partie du groupe porté par le Front Fatah Al-Cham, soit autrefois la branche syrienne d’Al-Qaïda, tandis que 50% des autres combattants rassemblent l’Armée Syrienne Libre et des sympathisants des Frères Musulmans. Le reste des combattants gravite entre ces deux pôles. 

Les alliances de Bachar-al-Assad

Seulement, de l’autre côté, l’armée syrienne, ou tout du moins ce qu’il en reste après cinq ans de lutte, est appuyé par des forces liées aux alliances compliquées de la région. On le sait, l’indécision de Washington, les problèmes du veto au Conseil de Sécurité et l’ingérence de la Russie ont fait que la Syrie a reçu l’appui direct de moyens militaires russes. Deux bases navales, Tartous et Lattaquié, reçoivent des navires russes, le porte-avion Amiral Kouznetsov présent depuis le 12 novembre participe aux raids aériens, et ainsi les Russes appuient fortement les troupes syriennes en maniant le bombardement.


L'Amiral Kouznetsov en chair et en métal

Aussi, on retrouve, outre les forces gouvernementales et russes, la présence de milices chiites, auto-formées dans un pays majoritairement sunnite, ainsi qu’une forte concentration de chiites du Hezbollah libanais, et du soutien matériel en provenance de l’Iran. Comme nous le disions dans cette autre chronique, la rivalité entre l’Arabie Saoudite et l’Iran pour des enjeux régionaux est toujours prégnante, et mieux vaut maintenir un Alaouite au pouvoir que de voir le risque que des sunnites qualifiés de "salafistes" prennent le pouvoir. De fait, on retrouve des milices irakiennes, des Afghans chiites et des mercenaires pakistanais (voir l’article du Monde Diplomatique), qui profitent de l'appui matériel iranien. Quant aux choses plus controversées, un documentaire d’Arte signale que le président n’avait pas hésité à libérer les détenus les plus radicaux de ses prisons au début de la guerre civile, peut-être dans une tentative de discréditer l’ensemble des rebelles en les assimilant à des groupes terroristes affiliés à l’Etat Islamique ou à Al-Qaïda.

Blood will have blood (Macbeth, Shakespeare, 3.4)

En attendant, les protestations de la communauté internationale n’empêchent pas que l’ONU reste pieds et poings liés face au veto, et à l’intervention des Russes, tandis que Washington perd pied sur le terrain, après notamment le bombardement très controversé de troupes syriennes pro-gouvernementales à la mi-septembre. Alep est en train de tomber, et est le symbole de cette guerre civile : terrible, sanglante, et sans trêve possible puisqu’elles sont systématiquement sans suite. Les crimes de guerre sont courants, et toutes les ONG présentes sur place parlent des conséquences désastreuses de la guerre pour les populations civiles, portant leur bilan à une fourchette comprise entre 400 000 et 500 000 morts. 



La moitié de la population syrienne (de 22 millions avant la guerre) a été déplacée pendant le conflit selon un chiffre donné en 2015, et un quart des syriens sont dits "réfugiés". Ils continueront à affluer en attendant que la guerre soit liquidée par les acteurs sur place. Alep est l’exemple-type des rivalités régionales, de l’impuissance relative de la communauté internationale et de la place du conflit armé dans notre monde. Reste la même question que pour la fin de l‘Etat Islamique : avec tous ces acteurs, que se passera-t-il une fois la guerre finie ?

Sources :

- Arte : Daesh : Naissance d’un Etat terroriste (Jérôme Fritel, 2014) et surtout Les Guerres Cachées contre Daesh (Jérôme Fritel, 2016), qui traite des motivations contradictoires des acteurs présents

- Le Monde Diplomatique : l’article de Bachir El-Khoury de l’édition de décembre 2016 est à ce titre très utile

- Tous les médias qui font leur une sur le sujet

samedi 12 novembre 2016

Chronique Géopolitique 03 - Qui veut la peau de l'Etat Islamique ? (Proche-Orient)

Chronique Gépolitique 03 - Qui veut la peau de l’Etat Islamique ?

Changer de perspective

A un moment ou à un autre, il faut faire le point. Tous ces événements qui se déroulent au « Proche-Orient », selon l’appellation française, mobilisent un grand nombre de pays, dans une atmosphère angoissante de crise internationale. Le lieu de cristallisation des tensions mondiales a changé de terrain et d’ennemi, et tous les yeux se tournent vers cette région plongée dans la crise et la tourmente depuis au moins 2003. Mais l’originalité de ce conflit est qu’on semble retrouver un seul et même ennemi, l’Etat Islamique, qu’il s’agit de réduire à néant. Pourtant, les protagonistes de cette histoire ne sont pas autant pressés les uns et les autres d’arriver à cette fin, comme nous allons le voir. 


Inutile de les présenter... Mais sont-ils les seuls acteurs de cette histoire ?

Sans rester sur une guerre simpliste contre le « méchant terroriste », il convient d’observer ici les tensions régionales qui sont à l’œuvre, qui dépassent la simple lutte contre une organisation terroriste, pour nous poser la question que vous avez vu en titre : qui veut la peau de l’Etat Islamique ? D’aucuns seraient tentés de dire « tout le monde ». Mais la vraie question qui se pose au moment où de grandes batailles décisives se jouent, c’est le « qui ». Les acteurs de cette guerre, aux motivations variées, ont des objectifs différents les uns des autres, et la « coalition internationale », qui essaie de gommer ces différences, n’y parvient que trop peu. Sans être un article synthétique de référence, j’ai choisi pour ce troisième épisode de Chronique Géopolitique de rappeler à l’esprit des choses que j’estime importante, sans prendre un quelconque parti. 

Carte très synthétique de mai 2016 trouvée sur le site de Libération. Beaucoup de changements depuis.

Les origines du conflit

L’Etat Islamique s’appelle ainsi depuis juin 2014. Il était auparavant une branche de l’organisation terroriste d’Al-Qaïda. Mais s’il a eu un essor fulgurant dans la région, c’est que le contexte s’y prêtait. En 2003, les Américains envahissent l’Irak et mettent à bas le régime de Sadam Hussein (1937-2006). En proclamant haut et fort la démocratie, ils désunissent pourtant la société. Depuis sa fondation, l’état irakien fonctionnait avec une minorité sunnite au pouvoir, contrôlant l’armée et les postes-clés de l’administration, gouvernant une majorité de chiites. Sans revenir sur la distinction doctrinale entre ces deux branches de l’Islam, la perturbation du régime irakien a donné lieu à de grandes purges. Pendant la passation de pouvoir « démocratique » qui a profité aux chiites, des guerres civiles meurtrières ont opposé les deux branches de l’Islam. Des quartiers se sont embrasés, et en promettant l’union, la désunion et la décomposition civile se sont profilées. Or, une partie des sunnites rejetés du pouvoir a pu ainsi être séduite par les discours du sunnisme international et du retour d’un califat, et ont pu rentrer dans les bras ouverts de l’organisation, d’autant plus que certains ont une bonne expérience militaire. L’armée fanatisée de l’Etat Islamique s’est dès lors imposée dans le nord, face à des troupes chiites peu expérimentées, peu motivées, récemment enrôlées, et l’état irakien n’a pas su maintenir sa souveraineté. On parle d’ « état failli » (Livre Blanc 2013, p.44, 84 et 89). 

La guerre civile en Syrie dure depuis plus de cinq ans.

Du côté méditerranéen, on se retrouve en 2011 après le « Printemps Arabe » au Maghreb en Syrie. Face aux manifestations contre le régime, le président Bachar al-Assad (1965-?) utilise la force, mais sans réussir à calmer le jeu puisque le pays sombre dans la guerre civile et la violence. Les rebelles s’organisent en différents groupes, prennent certaines cités et réussissent à l’aide de soutien à maintenir la lutte jusqu’à aujourd’hui. Certains groupes rebelles se sont radicalisés sous l’impulsion de personnalités connues dans le monde du djihadisme (et libérés des prisons sur ordre présidentiel d’après un ancien prisonnier interviewé dans le documentaire de J. Fritel), qui mettent à mal la crédibilité des autres rebelles. Comme nous l’avons vu pour la Colombie, celui qui arrive à classer l’autre comme « terroriste » réussit à le sortir d’une discussion. L’Etat Islamique s’est ainsi retrouvé dans la zone syrienne par le biais de ce contexte.

Une régionalisation tendue


C’est d’abord par les financements occultes qu’apparaissent les premiers signes d’une régionalisation du conflit. Sans le dire tout haut, on sait par plusieurs enquêtes et récits (voir nos sources) que les groupes radicaux, et parmi ceux-ci celui de l’Etat Islamique, ont été financés et équipés par la Turquie du président R. T. Erdoğan, mais aussi par l’Arabie Saoudite et les autres émirats de la région. Lorsque le conflit s’intensifie davantage autour de l’Etat Islamique, notamment après les attaques du 13 novembre 2015, le contexte n’est plus le même. Une coalition internationale essaie de réunir une soixantaine d’Etats pour éliminer l’Etat Islamique (dont la Turquie et l’Arabie Saoudite font partie…). 

Après le 13 novembre 2015.

D’autre part, le conflit s’est régionalisé. L’opposition entre l’Iran chiite et l’Arabie Saoudite sunnite, qu’on retrouve aussi au Yémen, retrouve un regain autour des actions des différents acteurs. Si l’Arabie Saoudite a pour alliés traditionnels les Etats-Unis, qui se sont longtemps opposés au régime syrien, l’Iran est plutôt proche de la Russie. Pour protéger le régime syrien de Bachar al-Assad, alaouite, c’est-à-dire appartenant à une branche du chiisme dans un pays majoritairement sunnite, l’Iran et la Russie fournissent argent, équipement et participent même aux conflits. Deux ports de la côte méditerranéenne comptent ainsi des navires russes (Tartous et Lattaquié). De plus, le Hezbollah libanais (chiite) envoie des troupes aux côtés du régime, malgré sa catégorisation de « mouvement terroriste ». La Turquie, membre de l’OTAN et donc alliée des Etats-Unis, aux frontières avec l’Europe et la Russie, se retrouve depuis quelque temps proche de la Russie elle aussi, peut-être pour pouvoir jouer à son tour un rôle régional. 

Les troupes kurdes

Enfin, le peuple kurde se retrouve lui aussi dans ce conflit. Jamais reconnus totalement indépendants (bien qu'autonomes, notamment en Irak), les Kurdes se retrouvent à cheval sur le nord de la Syrie et de l’Irak, et au sud de la Turquie. Ils ont pris les armes assez tôt pour lutter contre l’Etat Islamique, et ont eu un certain succès au nord de l’Irak. Financés et équipés par les Etats-Unis, ils se retrouvent à la tête d’une région et semblent sortir gagnant de ce conflit, grâce à une maîtrise territoriale qui s'affirme, et qui semble de plus en plus apparaître comme une répétition générale en vue d'une indépendance. Ce qui est craint par les puissances environnantes, et notamment par la Turquie. Malgré l’OTAN, des heurts ont ainsi eu lieu entre les Peshmergas, les combattants kurdes, et les troupes turques : dans cette région, nous ne sommes plus à un paradoxe près, et les Etats-Unis semblent depuis un an avoir du mal à naviguer dans ce foisonnement d’intérêts contradictoires (comme s’en amusent plusieurs articles du Canard Enchaîné). Pour le président turc, les Kurdes sont une menace, notamment s’ils créent un état au sud de la Turquie, dans une région où les Kurdes sont majoritaires. Depuis le putsch militaire raté du 15 et 16 juillet, et la reprise en main brutale de la société par le biais d’une purge destinée à écarter les gens « suspects », le président n’a pas hésité à parler des organisations kurdes et à les désigner comme des organisations terroristes. Ce qui n’est pas l’appellation onusienne exacte…

Après la bataille ?

On voit ainsi que les acteurs ont des motivations assez diverses, et que la coalition internationale qui lutte en ce moment contre l’Etat Islamique a des divergences sur l’avenir de la Syrie, des Kurdes et globalement sur l’avenir de la région. Comment reconstruire une Syrie ravagée par un conflit, alors que les rebelles qui luttent encore se retrouvent face aux troupes syriennes, russes et du Hezbollah ? Comment reconstruire l’état irakien avec une armée en décomposition et une fracture sociétale profonde ? Comment voir l’avenir de la Turquie, entre OTAN, Europe, Russie et Moyen-Orient ? Que vont faire les Kurdes après la fin de l'Etat Islamique ? Certains spécialistes, tel P-J Luizard, rappellent que ce qui se passe dans la région est une affaire bien plus politique que religieuse, contrairement à ce que l’on pourrait penser avec la radicalisation idéologique orchestrée par l'Etat Islamique.

La bataille continue, entre bombardements, attaques de véhicules blindés et assauts.

Avant la bataille de Mossoul, qui a commencé mi-octobre, tous ces intérêts contradictoires se retrouvent ensemble : les Irakiens demandent aux Turcs, qui veulent absolument intervenir, de se retirer ; on trouve aussi bien des milices chiites irakiennes, ce qui peut poser un problème face aux civils sunnites, des armées privées d’Irakiens qui ne croient plus en l’Etat et organisées par de riches individus, les restes de l'armée irakienne, les Peshmergas, etc. Et derrière, les Occidentaux et les Russes, qui soutiennent les troupes sur place, accompagnés par la France. Aucun n'a le même objectif politique. Alors, je le redemande encore une fois : qui veut la peau de l’Etat Islamique ?

Sources :

- Arte : Daesh : Naissance d’un Etat terroriste (Jérôme Fritel, 2014) et surtout Les Guerres Cachées contre Daesh (Jérôme Fritel, 2016), qui traite des motivations contradictoires des acteurs présents

- Canard Enchaîné : les derniers articles satiriques reviennent souvent sur l’incapacité des Etats-Unis à maintenir leurs alliés dans le même bateau.

- LUIZARD, Pierre-Jean, Le Piège Daesh : l’Etat Islamique ou le retour de l’histoire, La Découverte, Paris, 2015 : l’auteur pose sur le temps et l’espace l’Etat Islamique, pour déceler les causes profondes et savoir où l’on va.

- Monde Diplomatique : les analyses plus réfléchies et les cartes permettent de s’y retrouver davantage dans cette jungle.

lundi 12 septembre 2016

Chronique Géopolitique 02 - Le Cachemire, endroit le plus dangereux au monde ? (Asie du Sud)


Chronique Géopolitique 02 : Le Cachemire, endroit le plus dangereux au monde ? (Asie du Sud)

Pour cette deuxième chronique, nous nous déplaçons de l’Amérique Latine pour le sous-continent indien en Asie du sud, dans une zone où les tensions régionales restent vives depuis la fin des années 40 entre trois puissances aujourd'hui nucléaires : la République Populaire de Chine, la République de l’Inde et la République Islamique du Pakistan. C’est autour du Cachemire que se structurent ces affrontements, région qualifiée par le président américain Bill Clinton de « world’s most dangerous place ». Cette province partagée entre les trois acteurs régionaux se structure autour de glaciers très proches des frontières montagneuses chinoises, et d’une importante réserve d’eau douce en pleine Asie du sud, notamment pour le fleuve Indus (Pakistan).

Une indépendance mouvementée

Après la Seconde Guerre Mondiale, la Grande-Bretagne entame un processus de décolonisation. Le mouvement indépendantiste dans les Indes Britanniques est mené entre autres par Mohandas Karamchand Gandhi (1869-1948) et Jawaharlal Nehru (1889-1964) et suivi par les partisans de la désobéissance civile. Mais les heurts entre, pour simplifier, les communautés musulmanes du nord du pays, et les communautés hindoues du sud du pays, exacerbent les tensions locales. En 1947, contre les partisans d’une Inde indépendante et unifiée, les Britanniques organisent une partition, séparant le Dominion du Pakistan à majorité musulmane de l’Union Indienne à majorité hindoue. Ce n’est qu’en 1971 que le Dominion du Pakistan se sépare de la République Populaire du Bangladesh, cette dernière étant appuyée par l’Inde. 


Les 565 états princiers de la région, qui subissaient un contrôle indirect de la part des britanniques, sont désormais absorbés par les deux nouvelles entités politiques. Mais le maharadjah du Jammu-et-Cachemire Hari Singh (1895-1961) résiste. Hindou, il dirige une province à majorité musulmane sunnite, surtout à l’ouest, mais qui compte aussi des bouddhistes à l’est en marge du plateau tibétain, des hindouistes dans la plaine de Jammu et des chiites dans les montagnes du nord-ouest. 

Le Maharadjah Hari Singh

Des conflits régionaux

Des forces tribales appuyées par l’armée pakistanaise entrent alors dans la province, et le 26 octobre 1947, le maharadjah se décide à appeler l’Inde. La première guerre indo-pakistanaise commence, et ne s’arrête qu’au 1er janvier 1949, lorsque l’ONU partitionne la province : le tiers ouest pour les Pakistanais, le reste du territoire pour les Indiens. Une ligne de démarcation est tracée et gardée. Ce conflit a provoqué des centaines de milliers de morts selon les estimations, et a occasionné un vaste transfert de population (on parle de plus de douze millions de personnes), fuyant les violences, musulmans rejoignant le Dominion du Pakistan, et hindouistes rejoignant l’Union Indienne. Ce ne sera pas le seul conflit qui opposera ces deux états : en 1965 après une infiltration pakistanaise ; en 1971 lorsque le Pakistan oriental, appelé Bangladesh, se sépare du Pakistan ; en 1999 dans la vallée montagneuse de Kargil, soit une guerre à très haute altitude ; en 2001-2002, lorsque l’Inde subit des attentats et accuse des cellules terroristes pakistanaises soutenues par l’Etat, que les troupes se massent près de la ligne de démarcation, et que les deux puissances possèdent l’arme nucléaire depuis 1998. Une situation tendue. 


A ces deux protagonistes s’en greffe un troisième : la Chine de Mao Zedong (1893-1976). Il envahit l’Aksai Chin en 1962, ainsi que la haute vallée de Skagsam et une partie du sud-est. Cette région stratégique est en effet en contact direct avec les provinces chinoises du Tibet au nord-est et du Xinjiang au nord-ouest. Ce grave contentieux sino-indien perturbe les relations régionales, d’autant plus qu’il s’agit de deux puissances nucléaires et que le Pakistan ne s’oppose pas aux revendications chinoises, contrairement à l’Inde qui n’a jamais abandonné les territoires qu’elle considère comme légitimes. 

Le glacier du Siachen est ardemment défendu.

La question du terrorisme

Depuis les années 90, de nombreux fondamentalistes musulmans, appuyés sur des réseaux établis au Pakistan, et pouvant même venir d’Afghanistan depuis les attentats du 11 septembre 2001 et la guerre contre les talibans qui a suivi, franchissent la ligne de démarcation entre la partie pakistanaise et la partie indienne. Certains parlent même de « djihad » dans le but de rétablir l’hégémonie pakistanaise sur un territoire qu’elle aussi considère comme légitime. Ceci occasionne des troubles, notamment entre la population musulmane locale et l’armée indienne de par les amalgames rapidement établis. Rajoutons à ce cocktail des mouvements indépendantistes, religieux ou non, organisés en guérillas, comme les Hizbul Mujahideen, des manifestations réprimées dans le sang et des milliers de disparus. En ce moment même, la mort d'un membre du groupe pré-cité a provoqué de nombreuses manifestations pendant l'été. 78 morts parmi les manifestants sont à déplorer pour le moment. Les tensions restent vives.

L'armée indienne après des manifestations en 2010.

Aujourd’hui, près de 700 000 militaires indiens patrouillent dans la province, faisant du Cachemire indien une des zones les plus militarisées au monde. Certaines villes sont encore placées sous couvre-feu, et la ligne de contrôle indo-pakistanaise fait plus de 740 kilomètres de long. Aujourd’hui encore, des heurts sont fréquents entre l’armée indienne et la population, d’autant plus qu’un référendum est demandé par l’ONU depuis 1949 et n’a jamais été appliqué. La région reste encore une zone de contentieux locaux et régionaux très importants, aggravés par le rang des puissances présentes et leurs capacités nucléaires.


Sources :

- Arte
- La Documentation Française
- Le Dessous des Cartes (10 septembre 2016) : l’émission revenait sur le discours cartographique du service Google Maps en fonction de ses lieux d’implantation. Dans la partie du Cachemire, on suit trois versions différentes, dont une montre par exemple le Cachemire entièrement indien, montrant que les luttes de pouvoir deviennent des luttes d’information.
- L’Humanité
- Monde Diplomatique (septembre 2016) : un des articles revient sur la lutte culturelle contre l’autorité indienne qui se fait aujourd’hui jour dans la région administrée par les autorités indiennes. Faisant suite aux manifestations réprimées dans le sang et à la lutte armée, les artistes sont dits prendre la relève.

lundi 5 septembre 2016

Chronique Géopolitique 01 - La Fin des FARC ? (Colombie)

Dans cette nouvelle série, je vais m’efforcer de donner de petits aperçus sur des conflits géopolitiques contemporains. Le sujet n’est pas simple, et les définitions ne sont pas évidentes. S’il est possible de gloser sans fin sur la définition, on peut retenir que la géopolitique consiste en une interaction à l’échelle locale, régionale voire mondiale entre d’une part un milieu géographique, un territoire, une frontière, une enclave, etc., et d’autre part la politique, qui se définit par l’exercice du pouvoir et les rivalités qui en découlent, influant sur la politique au sens large, c’est-à-dire lorsqu’elle désigne une société ou un ensemble de sociétés, avec son cadre culturel, économique, social etc.

Le sujet n’est donc pas simple, mais se structurera autour d’articles synthétiques réalisés à partir du recoupage d’informations et de quelques lectures. Contrairement à ma série Conflit d’Histoire, nettement plus documentée, il s’agira donc d’être concis. Pour notre première chronique, il s’agira de parler des FARC. Et comme le sujet m’a beaucoup intéressé, il n’est peut-être pas utopique de dire qu’une future série de Conflit d’Histoire traitera du sujet…

Chronique Géopolitique 01 - La Fin des FARC ? (Colombie)

Définition rapide de la guérilla

La définition du mot guérilla est plus complexe qu’il n’y paraît. Elle désigne tout d’abord une technique de combat pratiquée par des bandes armées, dans le but de provoquer des escarmouches en évitant les chocs frontaux, pour provoquer un maximum de dégâts sur un temps très court afin de pouvoir se replier et économiser les effectifs. Les guérilleros sont du même coup ceux qui pratiquent cette guérilla. 


Seulement, s’ils peuvent appartenir à l’armée régulière légalement constituée par l’Etat, ils peuvent aussi être constitués par des civils, formant des bandes de francs-tireurs agissant en-dehors de l’armée, aussi appelés partisans. Ils forment dès lors des groupes paramilitaires, agissant comme des groupes armés, avec un commandement, un entraînement, mais sans être toujours reconnu par un Etat.

Le FLNC (Corse)

On peut distinguer la guerre dissymétrique de la guerre asymétrique, bien qu’elles concernent toutes deux des pratiques de guérilla. La première est une variante de la guerre au sens régulier du terme : une armée étatique et reconnue en combattra une autre mieux équipée et plus nombreuse en utilisant des techniques de guérilla pour frapper des objectifs militaires. La seconde concerne une armée reconnue ou non, et qui tente par des frappes militaires et/ou civiles de déstabiliser un état et de lutter contre un système étatique. Cela concerne autant le terrorisme que les mouvements indépendantistes.

La guerre civile

Depuis son indépendance vis-à-vis des Espagnols au début du XIXe siècle, la Colombie est frappée par une lutte incessante entre « libéraux » et « conservateurs », entre santandéristes et bolivariens, mouvements inspirés par d’une part Francisco José de Paula Santander y Omaña, et d’autre part par Simón José Antonio de la Santísima Trinidad Bolívar y Palacios, deux héros de l’indépendance.

Simón Bolívar

Après une période de stabilité entre 1902 et 1948, une terrible guerre civile surnommée la Violencia réoppose les deux courants politiques, faisant des centaines de milliers de victimes. Après une période de dictature militaire, les deux partis s’unissent dans le gouvernement du Frente Nacional établi en 1958, ce qui n’est pas du goût des mouvements de guérillas les plus à gauche. S’appuyant sur les paysans, premières victimes des combats et du partage des terres jugé inégal, des républiques indépendantes tentent de se mettre en place au sud du pays, mais l’armée colombienne intervient. En 1964 sont fondées les Fuerzas armadas revolucionarias de Colombia (FARC).

La guérilla des FARC

Contrôlant la culture de la coca, les FARC négocient avec les cartels de drogue pour financer leur lutte armée dans les années 80, tout en multipliant les enlèvements d’officiels ou de civils. Ils sont suffisamment puissants dans les années 90 pour négocier avec le gouvernement après quelques succès, et compter près de 18 000 guérilleros, contre quelques centaines au tout début . En face, des milices d’auto-défense d’extrême-droite s’organisent officieusement, pratiquant une répression parfois aveugle, et couverts par les militaires.


Au début des années 2000, les négociations sont rompues, la Colombie lance un plan de réarmement et de répression des mouvements de guérilla, parfois aveugles, appelé política de seguridad democrática. Les Etats-Unis financent cette politique à partir du Plan Colombia, d’autant plus que les FARC ont été classés depuis 2001 dans la liste des organisations terroristes. Les FARC sont peu à peu repoussés, et la violence atteint son paroxysme à la fin des années 2000, à coup de mines antipersonnelles, sur fond de trafic de drogue et de scandales, comme celui des falsos positivos, des civils tués par les militaires et catégorisés comme guérilleros par les militaires du gouvernement pour montrer des résultats.

La paix enfin ?

En 2012, après des revers importants, les FARC annoncent la fin des enlèvements. Le processus de paix suit en 2013 à La Havane, les FARC s’étant inspirés durant leur longue lutte du communisme cubain. En juillet 2015, les hostilités cessent, et le 28 août 2016, un cessez-le-feu définitif est annoncé. Après 52 ans de conflit, les 7 500 FARC encore en activité, parmi lesquels on compte près de 40% de femmes, sont tenus de rendre les armes. Entre le 20 et le 26 septembre 2016, le président colombien M. Santos rencontrera le chef Timochenko, et le 2 octobre, un référendum sera tenu dans le pays pour acter cette fin de lutte. Le conflit aura fait 260 000 morts, 45 000 disparus, 6.8 millions de déplacés et aura duré 52 ans.


Visites du net :

- Arte
- France Culture
- Le Monde
- Un mémoire