Dans tous les médias, on parle du sort d’Alep. Ancienne capitale économique de la Syrie, elle était partagée entre rebelles et forces gouvernementales depuis 2012, et était le lieu d’une lutte sans merci. Mais alors que la situation était bloquée, la région est devenue une véritable poudrière, avec l’émergence de l’Etat Islamique s'étendant de l'Irak à la Syrie, profitant de la faiblesse des moyens étatiques, et le retour des rivalités. Seules les alliances du dirigeant alaouite lui ont permis de réaliser cette percée redoutable dans la ville d’Alep. Les bombardements et les combats, de plus en plus intenses, ont vu la ville être finalement en voie d’être reconquise entièrement.
Un avant-après évocateur ici. |
Ce que les médias oublient, en revanche, c’est que cette région du monde qui attire largement les regards a été oubliée pendant cinq ans. Par intervalles, le monde braquait ses jumelles sur le terrain jonché de décombres, en parlant d’armes bactériologiques, d’accords, de trêves, et puis laissaient tomber, tandis que les combats continuaient dans l’indifférence générale, toujours plus meurtriers. Aujourd’hui toutefois, tous les médias sont unanimes : c’est un vrai drame qui se joue à Alep, et le monde est impuissant.
Alep partagée
En 2010/2011, le "Printemps Arabe" qui touche le Maghreb, et met à la porte certains dirigeants, se télescope en Syrie. Le président alaouite Bachar al-Assad, gouvernant une majorité de sunnites, est contesté. De nombreuses manifestations éclatent. L’armée intervient alors, et une partie des manifestants prennent les armes. La guerre civile éclate. Une coalition internationale rentre dans le combat libyen, touché par une crise similaire, mais en Syrie, les insurgés se battent contre l’armée syrienne. Différents groupes aux motivations diverses rentrent dans le combat.
Manifestation contre le régime en juillet 2011 à Hamas |
A Alep, l’offensive rebelle démarre en 2012. Mais la résistance est féroce, et les insurgés toisent les soldats du gouvernement pendant près de quatre ans, tenant chacun une partie de la ville. Depuis septembre 2016, la ville est assiégée à nouveau par les forces pro-gouvernementales, et les insurgés sont bloqués dans Alep-est. Fin novembre 2016, pour 250 000 personnes vivant encore dans cette partie de la ville, on retrouve entre 10 000 et 20 000 combattants. Un tiers des rebelles font partie du groupe porté par le Front Fatah Al-Cham, soit autrefois la branche syrienne d’Al-Qaïda, tandis que 50% des autres combattants rassemblent l’Armée Syrienne Libre et des sympathisants des Frères Musulmans. Le reste des combattants gravite entre ces deux pôles.
Les alliances de Bachar-al-Assad
Seulement, de l’autre côté, l’armée syrienne, ou tout du moins ce qu’il en reste après cinq ans de lutte, est appuyé par des forces liées aux alliances compliquées de la région. On le sait, l’indécision de Washington, les problèmes du veto au Conseil de Sécurité et l’ingérence de la Russie ont fait que la Syrie a reçu l’appui direct de moyens militaires russes. Deux bases navales, Tartous et Lattaquié, reçoivent des navires russes, le porte-avion Amiral Kouznetsov présent depuis le 12 novembre participe aux raids aériens, et ainsi les Russes appuient fortement les troupes syriennes en maniant le bombardement.
L'Amiral Kouznetsov en chair et en métal |
Aussi, on retrouve, outre les forces gouvernementales et russes, la présence de milices chiites, auto-formées dans un pays majoritairement sunnite, ainsi qu’une forte concentration de chiites du Hezbollah libanais, et du soutien matériel en provenance de l’Iran. Comme nous le disions dans cette autre chronique, la rivalité entre l’Arabie Saoudite et l’Iran pour des enjeux régionaux est toujours prégnante, et mieux vaut maintenir un Alaouite au pouvoir que de voir le risque que des sunnites qualifiés de "salafistes" prennent le pouvoir. De fait, on retrouve des milices irakiennes, des Afghans chiites et des mercenaires pakistanais (voir l’article du Monde Diplomatique), qui profitent de l'appui matériel iranien. Quant aux choses plus controversées, un documentaire d’Arte signale que le président n’avait pas hésité à libérer les détenus les plus radicaux de ses prisons au début de la guerre civile, peut-être dans une tentative de discréditer l’ensemble des rebelles en les assimilant à des groupes terroristes affiliés à l’Etat Islamique ou à Al-Qaïda.
Blood will have blood (Macbeth, Shakespeare, 3.4)
En attendant, les protestations de la communauté internationale n’empêchent pas que l’ONU reste pieds et poings liés face au veto, et à l’intervention des Russes, tandis que Washington perd pied sur le terrain, après notamment le bombardement très controversé de troupes syriennes pro-gouvernementales à la mi-septembre. Alep est en train de tomber, et est le symbole de cette guerre civile : terrible, sanglante, et sans trêve possible puisqu’elles sont systématiquement sans suite. Les crimes de guerre sont courants, et toutes les ONG présentes sur place parlent des conséquences désastreuses de la guerre pour les populations civiles, portant leur bilan à une fourchette comprise entre 400 000 et 500 000 morts.
La moitié de la population syrienne (de 22 millions avant la guerre) a été déplacée pendant le conflit selon un chiffre donné en 2015, et un quart des syriens sont dits "réfugiés". Ils continueront à affluer en attendant que la guerre soit liquidée par les acteurs sur place. Alep est l’exemple-type des rivalités régionales, de l’impuissance relative de la communauté internationale et de la place du conflit armé dans notre monde. Reste la même question que pour la fin de l‘Etat Islamique : avec tous ces acteurs, que se passera-t-il une fois la guerre finie ?
Sources :
- Arte : Daesh : Naissance d’un Etat terroriste (Jérôme Fritel, 2014) et surtout Les Guerres Cachées contre Daesh (Jérôme Fritel, 2016), qui traite des motivations contradictoires des acteurs présents
- Le Monde Diplomatique : l’article de Bachir El-Khoury de l’édition de décembre 2016 est à ce titre très utile
- Tous les médias qui font leur une sur le sujet
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