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samedi 31 décembre 2016

Chronique Géopolitique n°05 - Des bombes au Yémen (Péninsule Arabique)

Une guerre civile au Yémen

Au sud de l’Arabie Saoudite, le Yémen subit de plein fouet une guerre civile pendant qu’une coalition menée par son voisin du nord intervient dans ses affaires intérieures. Pendant que l’attention de la communauté internationale se porte sur l’Etat Islamique et sur la Syrie, on a tendance à oublier ce conflit qui est pourtant très meurtrier, et joue à nouveau le jeu des rivalités entre l'Iran et l'Arabie Saoudite au Moyen-Orient. Plusieurs médias se sont dans les dernières semaines intéressés à ce conflit qui ne dit pas son nom, mais les faits restent : les bombes pleuvent et personne n’entend les civils crier. 

Carte de la Tribune de Genève début 2015 : trois factions, un pays.

Ce conflit armé prend ses racines dans la chute du président Ali Abdallah Saleh en 2012, après 34 ans à la tête du pays. Toutefois, deux groupes étaient aussi présents à cette époque : AQPA, c’est-à-dire Al-Qaïda dans la péninsule arabique, et les rebelles zaydites (une branche du chiisme) communément appelés « houthistes » en référence à un de leurs chefs, Hussein al-Houthi, tombé en 2004 pour la cause de cette vieille insurrection. Plusieurs attentats revendiqués par les sunnites d'Al-Qaïda ou de l'Etat Islamique ont d'ailleurs frappé les milices houthistes, preuve que la situation est encore plus complexe dans ce pays où la population est à moitié chiite, et à moitié sunnite.

L’interventionnisme des états voisins

Les rebelles, soutenus par l’ancien président déchu, prennent la capitale de Sanaa en janvier 2015, gardant le nord du pays, tandis que le sud reste dans les mains du gouvernement yéménite élu, et qu'Al-Qaïda garde une influence dans l'est du pays. Ce jeu à trois n'est pas du goût de l’Arabie Saoudite, qui décide de monter une coalition de pays sunnites en mars 2015 pour lutter contre les houthistes. Cette rébellion zaydite est en effet vue comme une tentative de l’Iran chiite de prendre pied dans la zone. Et l'on sait que la rivalité entre les deux pays est toujours aussi forte. Aussi, le conflit prend une tournure régionale, et les états africains au-delà de la Mer Rouge ont été à leur tour projetés. 

La coalition restaure le pouvoir du président élu contre les rebelles houthistes, négligeant la branche d'Al-Qaïda.

Au-delà de ce bras de mer, l’Erythrée et l’Ethiopie se livrent en effet depuis plusieurs dizaines d’années une vraie guerre d’influence, se manifestant par des frictions frontalières permanentes. L’ascendant est pris par l’Ethiopie. Mais avec la guerre au Yémen, l’Erythrée a rejoint la coalition. L’aéroport et le port d’Assab portent désormais les engins de guerre aériens ou navals des alliés de l'Arabie Saoudite, ce qui agace profondément l'Ethiopie. Le Soudan a aussi envoyé des contingents armés, et le Somaliland, pourtant non reconnu par la communauté internationale, reçoit un afflux de capitaux pour sa proximité. Et en arrière-plan, les Etats-Unis soutiennent cette coalition, visiblement pour ménager l’allié saoudite face au rapprochement avec l’Iran, d'après Gérard Prunier. 

La guerre tue

Ce conflit armé a fait désormais plus de 7000 morts, de 37 000 blessés et surtout trois millions de personnes déplacées, et les raids aériens de la coalition ne font rien pour arranger ce bilan, les bombes ne faisant aucun différence entre rebelles et civils. Si les bombardements défraient régulièrement la chronique pour nous parler de centaines de victimes, civiles ou non, notons que l’Arabie Saoudite a été rajoutée à une liste noire de l’ONU pour non-respect des enfants dans un conflit armé à la suite de bombes touchant de jeunes victimes... Avant d’en sortir aussi vite en juin 2016 en faisant pression sur l’organisme international : d'après Ban Ki-Moon, dans sa dernière année en tant que Secrétaire Général des Nations Unies, il s'agit de maintenir les fonds de l'Arabie Saoudite pour aider d'autres programmes, d'autres enfants... Exit les enfants yéménites donc. Et les attentats de la branche d’Al-Qaïda, et surtout de l'Etat Islamique, continuent. 

Les attentats de l'E.I. continuent. Le dernier : 18 décembre 2016.

Les rebelles houthistes tiennent pour le moment la capitale avec l’ancien président du Yémen, montent un pouvoir politique parallèle, concurrençant l’actuel président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi. Reste à voir en quoi cette coalition, appuyée par les Etats-Unis pour ménager l’Arabie Saoudite dans des temps troublés, continuera à s’ingérer dans les affaires d’un autre état à coup de bombes et de raids aériens, dans la grande indifférence de la communauté internationale. Notons au passage que le Yémen est sur une voie de passage maritime stratégique pour les porte-conteneurs, les enjeux économiques se mêlant ainsi aux autres types d'enjeux. Finissons par une question : bombarder des civils et des rebelles permet-il de résoudre une crise rapidement ? Un retour d'expérience de Syrie pour le compte de l'Arabie Saoudite me semblerait nécessaire...

Sources :

- Les médias qui s'émeuvent un peu en cette fin d'année
- Monde Diplomatique, dont l'article de septembre 2016

mercredi 14 décembre 2016

Chronique Géopolitique 04 – Alep, la cité en ruines (Proche-Orient)

Le braquage des médias

Dans tous les médias, on parle du sort d’Alep. Ancienne capitale économique de la Syrie, elle était partagée entre rebelles et forces gouvernementales depuis 2012, et était le lieu d’une lutte sans merci. Mais alors que la situation était bloquée, la région est devenue une véritable poudrière, avec l’émergence de l’Etat Islamique s'étendant de l'Irak à la Syrie, profitant de la faiblesse des moyens étatiques, et le retour des rivalités. Seules les alliances du dirigeant alaouite lui ont permis de réaliser cette percée redoutable dans la ville d’Alep. Les bombardements et les combats, de plus en plus intenses, ont vu la ville être finalement en voie d’être reconquise entièrement. 


Un avant-après évocateur ici.

Ce que les médias oublient, en revanche, c’est que cette région du monde qui attire largement les regards a été oubliée pendant cinq ans. Par intervalles, le monde braquait ses jumelles sur le terrain jonché de décombres, en parlant d’armes bactériologiques, d’accords, de trêves, et puis laissaient tomber, tandis que les combats continuaient dans l’indifférence générale, toujours plus meurtriers. Aujourd’hui toutefois, tous les médias sont unanimes : c’est un vrai drame qui se joue à Alep, et le monde est impuissant. 

Alep partagée

En 2010/2011, le "Printemps Arabe" qui touche le Maghreb, et met à la porte certains dirigeants, se télescope en Syrie. Le président alaouite Bachar al-Assad, gouvernant une majorité de sunnites, est contesté. De nombreuses manifestations éclatent. L’armée intervient alors, et une partie des manifestants prennent les armes. La guerre civile éclate. Une coalition internationale rentre dans le combat libyen, touché par une crise similaire, mais en Syrie, les insurgés se battent contre l’armée syrienne. Différents groupes aux motivations diverses rentrent dans le combat. 


Manifestation contre le régime en juillet 2011 à Hamas

A Alep, l’offensive rebelle démarre en 2012. Mais la résistance est féroce, et les insurgés toisent les soldats du gouvernement pendant près de quatre ans, tenant chacun une partie de la ville. Depuis septembre 2016, la ville est assiégée à nouveau par les forces pro-gouvernementales, et les insurgés sont bloqués dans Alep-est. Fin novembre 2016, pour 250 000 personnes vivant encore dans cette partie de la ville, on retrouve entre 10 000 et 20 000 combattants. Un tiers des rebelles font partie du groupe porté par le Front Fatah Al-Cham, soit autrefois la branche syrienne d’Al-Qaïda, tandis que 50% des autres combattants rassemblent l’Armée Syrienne Libre et des sympathisants des Frères Musulmans. Le reste des combattants gravite entre ces deux pôles. 

Les alliances de Bachar-al-Assad

Seulement, de l’autre côté, l’armée syrienne, ou tout du moins ce qu’il en reste après cinq ans de lutte, est appuyé par des forces liées aux alliances compliquées de la région. On le sait, l’indécision de Washington, les problèmes du veto au Conseil de Sécurité et l’ingérence de la Russie ont fait que la Syrie a reçu l’appui direct de moyens militaires russes. Deux bases navales, Tartous et Lattaquié, reçoivent des navires russes, le porte-avion Amiral Kouznetsov présent depuis le 12 novembre participe aux raids aériens, et ainsi les Russes appuient fortement les troupes syriennes en maniant le bombardement.


L'Amiral Kouznetsov en chair et en métal

Aussi, on retrouve, outre les forces gouvernementales et russes, la présence de milices chiites, auto-formées dans un pays majoritairement sunnite, ainsi qu’une forte concentration de chiites du Hezbollah libanais, et du soutien matériel en provenance de l’Iran. Comme nous le disions dans cette autre chronique, la rivalité entre l’Arabie Saoudite et l’Iran pour des enjeux régionaux est toujours prégnante, et mieux vaut maintenir un Alaouite au pouvoir que de voir le risque que des sunnites qualifiés de "salafistes" prennent le pouvoir. De fait, on retrouve des milices irakiennes, des Afghans chiites et des mercenaires pakistanais (voir l’article du Monde Diplomatique), qui profitent de l'appui matériel iranien. Quant aux choses plus controversées, un documentaire d’Arte signale que le président n’avait pas hésité à libérer les détenus les plus radicaux de ses prisons au début de la guerre civile, peut-être dans une tentative de discréditer l’ensemble des rebelles en les assimilant à des groupes terroristes affiliés à l’Etat Islamique ou à Al-Qaïda.

Blood will have blood (Macbeth, Shakespeare, 3.4)

En attendant, les protestations de la communauté internationale n’empêchent pas que l’ONU reste pieds et poings liés face au veto, et à l’intervention des Russes, tandis que Washington perd pied sur le terrain, après notamment le bombardement très controversé de troupes syriennes pro-gouvernementales à la mi-septembre. Alep est en train de tomber, et est le symbole de cette guerre civile : terrible, sanglante, et sans trêve possible puisqu’elles sont systématiquement sans suite. Les crimes de guerre sont courants, et toutes les ONG présentes sur place parlent des conséquences désastreuses de la guerre pour les populations civiles, portant leur bilan à une fourchette comprise entre 400 000 et 500 000 morts. 



La moitié de la population syrienne (de 22 millions avant la guerre) a été déplacée pendant le conflit selon un chiffre donné en 2015, et un quart des syriens sont dits "réfugiés". Ils continueront à affluer en attendant que la guerre soit liquidée par les acteurs sur place. Alep est l’exemple-type des rivalités régionales, de l’impuissance relative de la communauté internationale et de la place du conflit armé dans notre monde. Reste la même question que pour la fin de l‘Etat Islamique : avec tous ces acteurs, que se passera-t-il une fois la guerre finie ?

Sources :

- Arte : Daesh : Naissance d’un Etat terroriste (Jérôme Fritel, 2014) et surtout Les Guerres Cachées contre Daesh (Jérôme Fritel, 2016), qui traite des motivations contradictoires des acteurs présents

- Le Monde Diplomatique : l’article de Bachir El-Khoury de l’édition de décembre 2016 est à ce titre très utile

- Tous les médias qui font leur une sur le sujet