J'inaugure la nouvelle série Point d'Histoire, centrée sur des sujets un peu plus classiques que le reste de mes articles. Dans cette première série, nous allons revenir ensemble sur le sport en Grèce antique. Les quatre épisodes qui vont suivre font partie de l'article publié sur le site des universitaires québécois d'"Histoire Engagée". Je vous le retranscris.
Sport, culture et enjeu militaire en Grèce antique
Introduction (1)
Au vu des récents événements sportifs
contemporains, glorifiant le sport, la compétition et la fierté
nationale, on peut se demander si cet esprit de pratique sportive a des
échos dans l’histoire. Et pour ce faire, il convient de revenir aux
origines de notre compétition olympique mondiale, inspirée du modèle
grec et pourtant peut-être très différente. Si les Jeux Olympiques
remontent à une réalité historiquement datée, la place de cet événement
sportif change du tout au tout dans le monde méditerranéen antique :
limitée géographiquement et culturellement au monde grec, cette
compétition panhellénique rassemble des sportifs venant des familles les
plus nobles et les plus fortunées de la Grèce, au sein d’un événement
qui mêle communément religion et sport. Au-delà de ces jeux, il s’agit
ici de voir la place particulière du sport dans ce monde qui a tant
inspiré Pierre de Coubertin (1863-1937). Si les Grecs n’ont pas inventé
le sport, ils sont à l’origine de la pratique de la « gymnastique ». De
γυμνός (gymnos) signifiant « nu », des exercices physiques (γυμνάσια,
gymnasia) sont pratiqués au sein du γυμνάσιον (gymnasion : le gymnase),
lieu emblématique. Quant à l’étymologie du mot « sport », elle est bien
différente. Venant de l’ancien français disporter, le terme désigne une
plus grande variété d’activités, du jeu physique à sa pratique intensive[1].
Nous utiliserons ainsi le mot sport dans son sens le plus vaste, pour
désigner l’éducation des enfants, celle des ὅμοιοι (homoioi) spartiates,
ou encore la pratique compétitive et l’entraînement militaire.
Un Hoplite Spartiate |
La pratique du sport dans la Grèce antique est avant tout une question d’éducation (παιδεία : paideia). La formation du Grec typique, inspiré du motif du καλὸς κἀγαθός (kalos kai agathos : l’homme beau et bon) est vue idéalement par des auteurs tels Xénophon (430/355), admirateur du modèle de formation spartiate[2], ou Platon (428/348) qui lie la fondation d’un régime idéal[3] à la formation spécifique des citoyens. Cette volonté de modeler le corps par le sport, qui prend surtout un tour aristocratique, se lie à une « exception culturelle » à la grecque : les Jeux Panhelléniques des sanctuaires religieux d’Olympie, de Némée, de l’Isthme ou encore de Delphes sont en effet l’occasion de perpétuer une tradition sportive, religieuse et culturelle, excluant le barbare, celui qui n’est pas grec[4]. Les vainqueurs de ces Jeux bénéficient d’une renommée certaine dans le monde grec. Mais le sport est aussi une préparation à la guerre. Le cas des Spartiates est révélateur, mais la participation aux exercices du gymnase à l’époque hellénistique, et notamment dans l’Egypte lagide ou la Syrie séleucide, est un enjeu politique et militaire.
Petite carte pour retrouver les Antigonides, les Lagides et les Séleucides à l'époque hellénistique |
Les Grecs dans l’Antiquité s’étendent de « Gibraltar à l’Indus, et du Danube au Soudan »[5]. Aussi serait-il impensable de donner un panorama complet des pratiques sportives à cette époque. Toutefois, nos sources vont limiter la recherche. A l’époque classique, les sources littéraires sont profondément tournées vers les deux cités antagonistes que sont Athènes et Sparte, du fait de la Guerre du Péloponnèse (431/404) et des conflits qui s’ensuivent jusqu’à la domination macédonienne. On retrouve aussi les sources épigraphiques, et surtout à Athènes, mais elles sont bien plus importantes à l’époque hellénistique, complétées par les sources papyrologiques de l’Egypte sous domination lagide. Les recherches historiques sur le monde sportif antique se sont aussi considérablement approfondies dans la deuxième moitié du XXe siècle. La focale olympique a glissé vers la focale culturelle et sociale, comme en témoignent les récents ouvrages sur la question[6].
Coureurs grecs sur vase à figures noires (Northampton, Castle Ashby) |
Dans ce monde qui est très loin d’être uni, le sport agit comme un élément d’une culture commune, une pratique susceptible de rapprocher les peuples du monde grec entre eux, notamment durant les grandes compétitions religieuses. Au sein même des cités-états ou des royaumes, le sport modèle la société, laissant apparaître une élite éduquée dans les voies du corps et de l’esprit, et préparant le citoyen à la guerre.
- Episode 01 : Introduction
- Episode 02 : Le sport comme modèle culturel et social
- Episode 03 : La guerre, affaire de sportifs amateurs ?
- Episode 04 : Conclusion
Notes :
[1] CHRISTENSEN, Paul, KYLE, Donald G., A Companion to Sport and Spectacle in Greek and Roman Antiquity, John Wiley & Sons, Chichester, 2014, 658p., p.1-2 : cette mise en perspective sépare dans l’ouvrage le sport, comme pratique physique générique, l’athlétisme (du grec ἆθλος (athlos)), comme pratique de compétition impliquant un public et un prix, et le spectacle, comme pratique d’une performance public.
[2] XENOPHON, La Constitution des Lacédémoniens.
[3] PLATON, La République et Les Lois.
[4] Ce qui occasionne des débats, notamment dans le cas des Macédoniens, à la frontière entre le monde barbare et le monde grec (CHRISTENSEN, op. cit., p.332-345).
[5] LEGRAS, Bernard, Education et Culture dans le Monde Grec. VIIIe siècle av. J.-C. - IVe siècle ap. J.-C., Armand Colin, Paris, 2002 (1998), 156 p., p.2.
[6] CHRISTENSEN, op. cit. et PRITCHARD, David M., Sport, Democracy and War in Classical Athens, Cambridge University Press, New York, 2013, 251p.
Sources :
- ANDRONICOS, M., « Sarissa », in Bulletin de Correspondance Hellénique (BCH) 94 (1970), p.91-107
- ARISTOTE, Constitution d’Athènes, trad. G. Mathieu et B. Haussoulier, Belles Lettres, 1972 (1e éd. 1922), 101 p.
- FEYEL, M., « Un nouveau fragment du règlement militaire d’Amphipolis », in Revue Archéologique (RA) 1935, p.29-68 ; HATZOPOULOS, M. B., L’Organisation de l’Armée Macédonienne sous les Antigonides. Problèmes anciens et documents nouveaux, De Boccard, Athènes, 2001, 196 p., annexe 3 : diagramma militaire d’Amphipolis
- HATZOPOULOS, M., « Nouveaux fragments du règlement militaire macédonien », in Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscription et Belles-Lettres, volume 144, n°2, 2000, p.825-840
- HOMERE, Iliade, chants XVII à XXIV, trad. P. Mazon, Belles Lettres, 2007
- HOMERE, Odyssée, trad. Ph. Jaccottet, La Découverte, 2004 (1e éd. 1982), 435 p.
- PAUSANIAS, Périégèse, trad. M. Clavier, Société Royale Académique des Sciences, 1821
- PLUTARQUE, Vies Parallèles¸trad. A-M Ozanam, Quarto Gallimard, Paris, 2001, 2292 p.
Bibliographie :
- CHANIOTIS, Angelos, War in the Hellenistic World. A social and cultural history, Blackwell, Bodmin, 2005, 308 p.
- CHRISTENSEN, Paul, KYLE, Donald G., A Companion to Sport and Spectacle in Greek and Roman Antiquity, John Wiley & Sons, Chichester, 2014, 658p.
- DUCREY, Pierre, Guerre et Guerriers dans la Grèce Antique, Hachette Littératures, Evreux, 1999 (1e éd. 1989), 318 p.
- HANSON, Victor Davis, The Western Way of War. Infantry Battle in Classical Greece, University of California Press, Berkeley, 1989
- HATZOPOULOS, M. B., L’Organisation de l’Armée Macédonienne sous les Antigonides. Problèmes anciens et documents nouveaux, De Boccard, Paris, 2001, 196 p.
- HATZOPOULOS, M. B., Macedonian Institutions Under the Kings. A Historical and Epigraphic Study (Tome I), De Boccard, Paris, 1996, 554 p.
- LAUNEY, M., Recherches sur les Armées Hellénistiques, Tome I et II, De Boccard, Paris, 1987 (1e éd 1951), 1315 p.
- LEGRAS, Bernard, Education et Culture dans le Monde Grec. VIIIe siècle av. J.-C. - IVe siècle ap. J.-C., Armand Colin, Paris, 2002 (1998), 156 p.
- PRITCHARD, David M., Sport, Democracy and War in Classical Athens, Cambridge University Press, New York, 2013, 251 p.
- CHANIOTIS, Angelos, War in the Hellenistic World. A social and cultural history, Blackwell, Bodmin, 2005, 308 p.
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