dimanche 21 août 2016

Conflit d'Histoire 01 - Le Sengoku Jidai - Le Temps des Unificateurs (4/5)

Conflit d'Histoire 01 : Le Sengoku Jidai
1467-1615, Japon 


Le Temps des Unificateurs (4/5)

Avant l’essor des trois Daimyo qui ont tenté ou réussi l’unification du Japon, les luttes ont vu des évolutions sociales sans précédent : certains Shugo ont fini dépossédés de leur terre, et certains guerriers ont fini par s’élever socialement pour devenir de grands seigneurs. Vers la fin de la période, les luttes s’intensifient autour de Kyoto. 

I. Oda Nobunaga (1534-1582)

Vers 1560, Oda Nobunaga est un Daimyo ayant tout juste réussi à unifier sa province, lorsqu’un certain Imagawa Yoshimoto dirige son armée dans le but de prendre Kyoto et de déposer une fois pour toute le Shogun théorique. Son trajet le somme de passer par le territoire du clan Oda. Nobunaga prend l’initiative malgré son infériorité numérique, et lance une attaque-éclair à Okehazama : son but n’est pas de battre l’armée supérieure en nombre, mais de prendre la tête du Daimyo, chose qu’il réussit à faire à la faveur d’un orage en contournant le campement principal. 


Ces premiers pas sont suivis par de longues luttes avec des clans rivaux, mais aussi avec les religieux. La montagne sacrée Hieizan est prise dans le sang, et Nobunaga traite avec les rébellions Ikkô-Ikki. Il assiège ainsi pendant près de dix ans leur forteresse à Imagawa : c’est le siège le plus long de l’histoire du Japon, fini en 1580. Il finit ainsi par juguler ces révoltes bouddhiques définitivement.


Il devient rapidement le Daimyo majeur de sa région. Approché par Ashikaga Yoshiaki pour prendre Kyoto, il réussit à le placer comme Shogun, en rognant progressivement son pouvoir. En 1573, le dernier Shogun Ashikaga est ainsi déposé. La bataille de Nagashino consacre sa prééminence sur les Takeda, les rivaux les plus importants de la région : en 1575, ses 3000 arquebusiers stoppent la charge ennemie, et le violent corps-à-corps qui s’ensuit marque le triomphe de Nobunaga. Après avoir terminé le siège d’Imagawa en 1580, Nobunaga commence à s’étendre vers l’ouest avec ses deux commandants : Toyotomi Hideyoshi et Akechi Mitsuhide. Le second, à la faveur de mouvements militaires, trahit Nobunaga séjournant dans un temple : encerclé, il se suicide, et son corps est calciné dans l’incendie qui ravage l’édifice en 1582. 

II. Toyotomi Hideyoshi (1536-1598)

Ce général loyal à Oda Nobunaga est l’exemple parfait de la mouvance sociale de l’époque. Simple Ashigaru, il gravit les rangs jusqu’à devenir un fidèle vassal. Lorsque Nobunaga est tué par Akechi Mitsuhide, il revient à marche forcée sur Kyoto, surprend son ancien collègue et le bat en bataille rangée. En 1585, le territoire appartenant autrefois à Nobunaga est enfin stabilisé entre ses mains, et il peut poursuivre la stratégie de conquête de son ancien seigneur, non sans avoir vaincu des généraux concurrents et les fils de Nobunaga. Il prend Shikoku et Kyushu entre 1585 et 1587. Ses conquêtes successives sont le moyen pour lui d’accroître son emprise et de réutiliser les hommes qu’il accueille sous ses ordres.


Pendant que le Japon s’unifie jusqu’en 1591 sous la houlette d’Hideyoshi, la Chasse aux Epées de 1588 et l’Edit de Séparation de 1591 marquent durablement le paysage social japonais. Cette chasse aux épées vise à aller chercher les armes de tous les paysans et de tous les vassaux réfractaires pour les confisquer. Or, c’était cette présence d’armes qui avait permis la constitution des premiers Ashigaru et leur maintien parmi la population des travailleurs du Daimyo. Plus jamais on ne devait voir des révoltés prendre les armes, et notamment les puissantes arquebuses 


L’Edit de Séparation fixe quant à lui la stratification sociale. Les paysans restent paysans, les membres de la classe militaire, Ashigarus ou Samurai, restent membres de la classe militaire. L’essor social d’Hideyoshi lui-même ne doit jamais plus se reproduire. De très nombreux Daimyos se sont élevés à la force de leurs armes : ce n'est désormais plus chose possible, et cette rigidité se maintient jusqu’à la fin du Shogunant Tokugawa. Quoi qu’il en soit, après ces deux réalisations, Hideyoshi veut soumettre la Chine, et commence par lancer des expéditions militaires en Corée entre 1592 et sa mort en 1598. Ce général compétent et aimé de ses troupes laisse sa place au dernier des unificateurs. 

III. Tokugawa Ieyasu (1542-1616)

L’ancien allié d’Imagawa Yoshimoto, tué au combat en 1560 par Oda Nobunaga, s’est vite retrouvé dans le camp du tueur de son seigneur. Libéré de ses obligations, il combat les clans rivaux de Nobunaga, et notamment les Takeda avec qui il a de nombreux démêlés. Il participe notamment à la bataille de Nagashino de 1575 voyant la défaite cinglante des Takeda.


Lorsque Nobunaga meurt en 1582, il s’oppose à plusieurs reprises à Hideyoshi, sans conséquences. Loin des îles et de Corée, il n’est pas astreint de participer à ces expéditions, ce qui lui permet de ménager ses propres forces militaires. Après la mort d’Hideyoshi en 1598, deux partis se forment au Japon : l’Armée d’Occident veut que Toyotomi Hideyori prenne la suite de son père, tandis que l’Armée d’Orient menée par Ieyasu milite pour un changement de tête.


Cette situation explosive culmine en 1600 à la bataille de Sekigahara où de très nombreux Daimyos se battent. Grâce à une trahison de troupes de l’Armée d’Occident, les lignes se disloquent et l’armée d’Ieyasu est victorieuse. A partir de ce moment-là, les autres Daimyos préfèrent se soumettre au nouvel unificateur du Japon. Profitant de ses ascendances prestigieuses, Ieyasu se proclame Shogun en 1603, mettant fin à plus d’un siècle de crise. Il garde les réformes d’Hideyoshi, redistribue les terres à ses alliés, ménage l’équilibre du territoire, et mate le dernier bastion des révoltés autour d’Osaka entre 1614 et 1615, réunis autour d’Hideyori. Le Shogunat Tokugawa est né.

Tous les épisodes :

1/5 : De la Chine au Japon.
2/5 : La Crise du Sengoku Jidai.
3/5 : Une Nouvelle Ère de la Guerre.
4/5 : Le Temps des Unificateurs.
5/5 : Fermeture et Paix.


Bibliographie indicative :
 

Akamatsu, P., « Une histoire du Japon, des origines à 1867 » [Sir George Bailey Sansom, A history of Japan : I. To 1334. ; II. 1334-1615. ; III. 1615-1867.], In Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, n°1, 1967, pp. 178-184
 
Otani, Ch., « Le mouvement insurrectionnel du Ikkô-Ikki, adeptes de la secte bouddhique Shin-shû au XVe et au XVIe siècle », In École pratique des hautes études. 4e section, Sciences historiques et philologiques, 1968, pp. 609-612.
 
Turnbull, S., Gerrard, H., Ashigaru 1467-1649. Warrior n°29, Osprey Publishing, Oxford, 2001, 64 p.
 
Turnbull, S., Samurai Commanders (2). 1577-1638. Elite 128., Osprey Publishing, Oxford, 2005, 64 p.
 
Turnbull, S., War in Japan 1467-1615. Essential Histories n°46, Osprey Publishing, Oxford, 2002, 95 p.

samedi 20 août 2016

Conflit d'Histoire 01 - Le Sengoku Jidai - Une Nouvelle Ere de la Guerre (3/5)

Conflit d'Histoire 01 : Le Sengoku Jidai
1467-1615, Japon 


Une Nouvelle Ère de la Guerre (3/5)

I. La tactique samurai en jeu
 
Le Bushi est le produit lointain des expéditions de Corée et de l’expérience militaire récoltée. En effet, entre le Ier et le Ve siècle, trois royaumes s'affrontent pour le contrôle de la péninsule : Koguryo, Silla et Paekche. Les derniers appelent les forces impériales japonaises vers 400, mais cette expédition est un échec. Les cavaliers Koguryo harcèlent particulièrement bien les troupes terrestres japonaises. Mais cette défaite est l'occasion pour le Japon d’importer ses premiers chevaux, qui s'implantent dans les plaines de l’est de l'île. En 553, les forces japonaises sont rappelées : elles ont désormais bien plus de répondant car maintenant composées de guerriers montés pratiquant l’art de tirer au galop (yabusame). 


Le terme samurai apparaît au Xe siècle, désignant une réalité similaire à celle du Bushi. Ce sont les luttes intestines entre grandes familles qui tracent la voie de l’émergence d’une classe d’aristocrates-guerriers, les Bushi. Le guerrier noble par excellence porte désormais une armure lamellaire mêlant cuir et métal, où les différentes plaques d’armure sont lacées ensemble. Le code du bushi, le bushido, apparaît dans le même temps. Un réseau de fidélités lie désormais le Daimyo ou Shugo à ses samurais ou bushi. Le Seigneur accorde des fiefs de plus ou moins grande importance à ses guerriers, sommés de lui accorder en retour une aide militaire et des hommes. Ceux appelés Ji-Samurai sont les plus pauvres de cette classe de guerriers, et cultivent la terre pour survivre lorsqu’ils ne sont pas appelés au combat. Certains de ces Ji-Samurai participent d'ailleurs aux révoltes Ikkô-Ikki.



Armé du katana, du wakizachi et d’une dague, le guerrier samurai est avant toute chose, et contrairement à ce qu’on imagine, un archer à cheval. Mais le développement pendant le Sengoku Jidai des masses d'infanterie et des troupes annexes font évoluer durablement l'armement. Les volées de flèches de l’infanterie, puis de balles de mousquets après 1543, sonnent le glas des archers à cheval : bien que très peu précises, ces volées, qui rappellent la méthode de combat des Mongols qui ont tenté l'invasion du Japon au XIIIe siècle, sont plus efficaces dans des batailles impliquant une population militaire croissante, et tendent à rendre caduque la présence de guerriers mortellement précis, mais en faible nombre. En Europe, entre le XVIe et le XVIIIe siècle, les cavaliers passent de l’art de la caracole, consistant à tirer avec des pistolets avant de se replier pour charger, à la revalorisation du contact. L’évolution de la tradition militaire équestre est la même au Japon, bien qu’un peu plus précoce. Les guerriers s’équipent de plus en plus de lances japonaises appelées yari, et leur rôle tend à devenir celui d’une cavalerie de contact, destinée à rompre les rangs adverses et notamment ceux des tireurs, le tout en étant appuyé par une infanterie en plein renouvellement.

II. L’essor des nouveaux combattants

L'infanterie prend un rôle de plus en plus important, et se développe numériquement. Au départ, ces troupes à pied sont simplement tirées de la masse des travailleurs de la terre du Daimyo. Mais cette période de crise voit l’émergence d’une nouvelle catégorie de combattants appelés Ashigaru (Pieds-légers). Exclus de la société, vagabonds ou laissés-pour-compte, ne disposant pas même de sandales pour marcher, d’où leur nom, ces hommes sur les routes finissent par se vendre aux seigneurs locaux les plus offrants : d’un côté, le Daimyo voit un moyen rapide d’augmenter ses effectifs pour continuer ses petites guerres de bornage, de l’autre les Ashigaru voient la perspective de faire du butin impunément. Mais ces troupes légères, armés sur le tas, sont très peu disciplinées, et ont pour habitude de déserter à tout bout de champ pour aller chercher des horizons meilleurs.



Le besoin de compléter les effectifs est néanmoins très fort dans une période militaire difficile. Aussi, certains Daimyos vont tenter de fixer ces effectifs, en leur donnant un statut, un équipement, une organisation. Dirigés par les Samurai, les formations d’Ashigaru se fixent chez les Daimyo les plus influents. Ils sont armés de naginata, de yari, d’arcs ou encore de mousquets importés d’Europe par les Portugais en 1543, et copiés par les manufactures du Japon. Ils complètent les effectifs des Bushi en apportant un soutien militaire indéniable. Ces Ashigaru permanents forment une nouvelle classe militaire, gardant les forteresses et les points-clés du Daimyo, tandis que les Ashigaru temporaires tendent à désigner désormais les paysans, capables de s’armer convenablement au fur et à mesure que la période avance et que les moyens de certains Daimyos progressent.

III. L’appel aux armes

 
Lorsque le Daimyo entre en guerre contre un de ses voisins, il a besoin de troupes. Outre les siennes propres, et celles de ses fiefs et forteresses, il dispose aussi d’un réseau de fidélité le liant à des Samurai à qui il a accordé un fief. Il évalue leur richesse en koku, 1 koku représentant la consommation en riz d’un homme pendant un an. En fonction de cette richesse, les Samurai sont sommés en cas de conflit d’accompagner le Seigneur avec un nombre plus ou moins important de soldats : ils peuvent ramener avec eux des compagnons d’arme samurai, des genin (domestiques pouvant agir en écuyers), des ji-samurai et des paysans. Cette contribution en paysan se transforme en contribution en Ashigaru au moment où leurs effectifs se fixent et où la population rurale dispose de plus en plus de stocks d'armes pour répondre aux besoins des seigneurs.


Comme dans toute armée, la place des bagages est importante et doit être soulignée ici aussi : en fonction de la durée de la campagne, les contingents militaires sont accompagnés par un cortège de femmes de soldat, de ravitaillement, de médecins, de marchands, de vétérinaires, etc. Le Samurai a une ou plusieurs montures en fonction de sa richesse, et seuls les plus pauvres ou ceux qui ont perdu tous leurs chevaux au combat combattent à pied. Et même si le code du Bushido reste rigide, vaincre un autre Daimyo n’est pas synonyme de séances massives de seppuku ou d'harakiri (suicide rituel par éventration) : la plupart du temps, le Daimyo vaincu est invité à se soumettre au vainqueur pour conserver un lopin de terre, tandis que les troupes sous sa juridiction deviennent pour le coup celles du nouveau seigneur. 


Tous les épisodes :
1/5 : De la Chine au Japon.
2/5 : La Crise du Sengoku Jidai.
3/5 : Une Nouvelle Ère de la Guerre.
4/5 : Le Temps des Unificateurs.
5/5 : Fermeture et Paix.


Bibliographie indicative :
 

Akamatsu, P., « Une histoire du Japon, des origines à 1867 » [Sir George Bailey Sansom, A history of Japan : I. To 1334. ; II. 1334-1615. ; III. 1615-1867.], In Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, n°1, 1967, pp. 178-184
 
Otani, Ch., « Le mouvement insurrectionnel du Ikkô-Ikki, adeptes de la secte bouddhique Shin-shû au XVe et au XVIe siècle », In École pratique des hautes études. 4e section, Sciences historiques et philologiques, 1968, pp. 609-612.
 
Turnbull, S., Gerrard, H., Ashigaru 1467-1649. Warrior n°29, Osprey Publishing, Oxford, 2001, 64 p.
 
Turnbull, S., Samurai Commanders (2). 1577-1638. Elite 128., Osprey Publishing, Oxford, 2005, 64 p.
 
Turnbull, S., War in Japan 1467-1615. Essential Histories n°46, Osprey Publishing, Oxford, 2002, 95 p.

Conflit d'Histoire 01 - Le Sengoku Jidai - La Crise du Sengoku Jidai (2/5)

Conflit d'Histoire 01 : Le Sengoku Jidai
1467-1615, Japon 


La Crise du Sengoku Jidai (2/5)

I. La fin de l’autorité centrale


Le Shogunat, ou Bakufu, est une institution militaire intégrée dans le régime impérial. Il se constitue après la Guerre de Genpei (1180-1185) lorsque la classe des Bushi (guerriers nobles) se structure et arrive au pouvoir. L’autorité de l’Empereur s’efface désormais face au personnage du Shogun, disposant de la force publique et militaire, et désignant lui-même les délégués territoriaux, alors même que l’Empereur reste étranger aux affaires publiques. Le territoire est divisé en circonscriptions dans lesquelles se retrouvent des Shugo, ou Daimyo, représentant l’aristocratie terrienne et militaire. Ces derniers sont sommés par le Shogun de résider une partie du temps dans la capitale Kyoto.



Ce pouvoir central vole en éclat à l’occasion d’un conflit qui a dégénéré : Onin no ran, la guerre d’Onin (1467-1477). Deux clans adverses bien proches de Kyoto s’affrontent, et pendant que ce conflit dégénère par l'implication d'un nombre croissants de clans dans la bataille, Kyoto finit saccagée et incendiée. Le Shogun Ashikaga n'a pas les moyens militaires de rétablir la paix, et le lien unissant Daimyo et Shogun s’effrite. Les Daimyos ne résident plus à Kyoto et rentrent sur leurs terres, d’où ils commencent à vivre en autarcie, oubliant tout lien de fidélité vis-à-vis du pouvoir central. Les luttes deviennent locales, et les clans font désormais la loi dans toutes les régions du Japon.



Dans La Société Féodale, Marc Bloch précise que le Japon est un des seuls états asiatiques à avoir développé un système féodal. Dans un article de 1967, P. Akamatsu tient à préciser davantage ce terme de féodalité : selon lui, la féodalité consiste en une façon particulière de distribuer et de tenir la terre, créant une structure sociale spécifique. D’après lui, c’est au moment du naufrage du Shogunat Ashikaga que cette féodalité apparaît entière. Les grands notables des villages et les Daimyos administrent ainsi leurs propres terres, tentant d'étendre leur influence aux domaines adjacents par la guerre ou l'assujettissement. Seuls les plus puissants des Daimyo continuent de courtiser l’Empereur.

B. La division locale du Japon

Les députés du Shogun deviennent ainsi des possesseurs de la terre, et non plus des délégués territoriaux du pouvoir central. De même, ils ne sont plus astreints à résider dans la capitale. D’autant plus que des opportunistes, soldats, samurais et même paysans se mettent à apparaître, renversant parfois la famille locale régnante et se taillant une nouvelle dynastie à la pointe du katana.



C’est aussi une période d’agitation sociale et religieuse, puisqu’autour de Kyoto, des révoltes populaires appelées Ikkô-Ikki se mettent en place. Des petits propriétaires terriens, des myôshu, s’organisent en villages, puis en communautés de villages, pénétrées par les idées d’une ancienne secte bouddhiste appelée Shin-Shû. Cette croyance prône le salut spirituel de l’homme, et est orientée par les prédicateurs comme une religion populaire voire populiste. Autour de la province de Kaga et de la forteresse d’Ishyama où se retrouve le temple Hongan-Ji, lieu d’où officiait le dernier grand prédicateur du XIIIe siècle Shinran, des révoltes populaires éclatent. Une sorte d’état populaire autonome est établi, déboutant par la force les cadres administratifs traditionnels.



Le dernier mot sur cette division locale du Japon est d'ordre géographique : l'île japonaise étant constituée en grande partie de montagnes, les lieux de pouvoir des Daimyo consistent en des forteresses établies en pleines montagnes. Les conflits se caractérisent ainsi très souvent par la prise de forteresses et de villes appartenant au clan rival plus que par des batailles rangées, d'autant plus que l'exiguïté du terrain empêche bien souvent ces batailles.
Les châteaux de montagne sont appelés yamashiro, et leur défense s'organise en une succession de fossés concentriques. C'est pendant la période troublée qui nous intéresse que les châteaux en pierre commencent à supplanter les châteaux en bois. Par ailleurs, la plus importante des villes à capturer reste Kyoto, capitale et lieu de résidence des Shoguns, et qui attire de fait la convoitise des plus puissants Daimyos à partir de 1560, moment où la lutte s'intensifie autour de quelques grandes familles. 

Tous les épisodes :

1/5 : De la Chine au Japon.
2/5 : La Crise du Sengoku Jidai.
3/5 : Une Nouvelle Ère de la Guerre.
4/5 : Le Temps des Unificateurs.
5/5 : Fermeture et Paix.


Bibliographie indicative :
 
Akamatsu, P., « Une histoire du Japon, des origines à 1867 » [Sir George Bailey Sansom, A history of Japan : I. To 1334. ; II. 1334-1615. ; III. 1615-1867.], In Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, n°1, 1967, pp. 178-184
 
Otani, Ch., « Le mouvement insurrectionnel du Ikkô-Ikki, adeptes de la secte bouddhique Shin-shû au XVe et au XVIe siècle », In École pratique des hautes études. 4e section, Sciences historiques et philologiques, 1968, pp. 609-612.
 
Turnbull, S., Gerrard, H., Ashigaru 1467-1649. Warrior n°29, Osprey Publishing, Oxford, 2001, 64 p.
 
Turnbull, S., Samurai Commanders (2). 1577-1638. Elite 128., Osprey Publishing, Oxford, 2005, 64 p.
 
Turnbull, S., War in Japan 1467-1615. Essential Histories n°46, Osprey Publishing, Oxford, 2002, 95 p.




mercredi 10 août 2016

Warhammer Fantasy Battle – Le Monde de la Première édition, 1983

Une nouvelle série d'articles

Nous voilà partis pour une nouvelle série centrée sur la genèse d'un monde, de sa géographie, de son histoire, le tout d'une façon médiéval-fantastique, à travers le jeu de figurines Warhammer Fantasy Battle. J'ai promis sur ce blog que je traiterai de choses plus sérieuses, et parler d'un monde, aussi fantaisiste soit-il, sous le prisme de livres de règles, de livres d'armées et d'une littérature assez importante, tout cela pour parler de géographie et d'histoire, peuvent tout à fait rentrer dans ce moule. Alors allons-y.

Fondé en 1975 à Londres, la société Games Workshop se charge d’importer des jeux de plateaux américains et de les publier sur le sol britannique. Au début des années 80 leur vient l’idée de développer et d’éditer leur propre jeu de figurines médiéval-fantastique, en créant les figurines Citadel et en sortant le premier livre de règles. Au fil des neuf éditions s’échelonnant jusqu’en 2015, l’histoire et les règles de Warhammer se sont peu à peu complexifiées. Si les systèmes de formation, de mouvement et de combat sont restés similaires, il n’en fut pas de même pour les compositions d’armée ou encore la magie.


Avant de nous attarder sur les armées et les univers de chacune des races, il importe d’avoir derrière la tête un aperçu de la géographie et de l’histoire globale du monde de Warhammer Fantasy Battle, en suivant pas à pas les différentes éditions. Nous verrons ainsi au fur et à mesure du temps la formation et la complexification d’un monde en plein expansion.

I. Les débuts d’un jeu de figurines 

La toute première édition de Warhammer était divisée en trois livres. Le premier traitait des batailles sur tables, le second de la magie et le dernier du système des personnages et des héros, inspiré des jeux de rôle papier. On y retrouve le déplacement en formation, les phases de mouvement, de tir, de combat et de magie, la psychologie et des tests précis de moral pour gérer les déroutes. Il faut comme toujours toucher la cible, la blesser puis la laisser faire son jet de sauvegarde et appliquer les règles spécifiques d’impact.

Des débuts émouvants...
Ce système restera en place jusqu’à la toute dernière édition de Warhammer, qui a décidé de remettre à plat toutes les règles du jeu en supprimant purement et simplement les formations, pour remplacer les unités par des escouades à la Warhammer 40K, leur jeu de figurines de type science-fiction. Mais ce n’est pas ce qui nous intéresse ici.

II. Un arrière-plan inexistant ?

Le principe de cette première édition est qu’il n’y a presque pas d’histoire. L’univers est à peine en train de se constituer au gré des campagnes réalisées par les concepteurs du jeu. Le bestiaire est ainsi bien peu étoffé, donnant juste des indications pour savoir quoi et qui jouer. Mais c’est là qu’apparaissent plusieurs races iconiques.

Si les Hommes et les Nains sont présentés très sommairement, les Elfes sont quant à eux déjà divisés entre Elfes des Bois, Elfes de la Mer, Elfes de la Nuit, rejetons chaotiques, et Hauts-Elfes. Pour nos amis Peaux-Vertes, on retrouve nos amis Gobelins, sensibles à la lumière du soleil, et divisés entre les P’tits Gobelins (traduisez comme vous vous voulez Less’r Goblin), les Gobelins Rouges montant des loups, les Gobelins de la Nuit préfèrent les cavernes, et les Gobelins « normaux » préfèrant monter des sangliers. Apparaissent aussi les « Hobgoblins », presque aussi violents que les Orcs, et bien plus imposant que leurs petits cousins. Tout ce beau monde s’engage contre les cités naines depuis les Guerres Gobelines, occasionnant des rancunes tenaces entre les deux races.


Les premiers Hommes-Lézards sont quant à eux loin des jungles, puisqu’habitant les cavernes les plus profondes des montagnes dont ils ne sortent que pour lancer des raids sur les Gobelins et les Nains. Les Hommes-Poissons, présentés comme des pirates, deviendront les Slanns, tandis que tout un bestiaire reste à peine nommé : Trolls, Géants, Hypogriffes, cousins des Griffons, Hommes-Arbres, Aigles et je passe les spectres, les squelettes, les liches et les autres esprits maléfiques.

Apparaissent aussi les premières traces du « Chaos » : certaines créatures possèdent des attributs chaotiques, tels les Minotaures, futurs Hommes-Bêtes, ou encore les différents types de Démons tels le Balrog. Pour terminer, notons qu’on trouve les « Werebeast », c’est-à-dire les hommes pouvant se transformer. Outre le Loup-Garou, on trouve les Wererats, qui deviendront non pas des Homme-Rats dans les éditions ultérieures, mais les Skavens.

Conclusion 

Le jeu de figurines pose les premiers jalons d’un univers non fixé, reprenant des éléments de fantasy un peu disparates, entre des hommes génériques, des nains, des elfes, des orcs et autres créatures. Dès l’année d’après, le supplément Forces of Fantasy donne des types d’unités un peu plus précis en fonction des races. Mais c’est surtout la seconde édition qui va apporter une large pierre à l’édifice du monde en train de se former. Cette première édition était le passage obligé par lequel tout commence.

mardi 26 juillet 2016

Point Actu : Violence, crimes de masse et indécence (14/07/2016)

Introduction

Un camion écrase et tue 84 personnes sur la Promenade des Anglais, une attaque au couteau frappe une famille de quatre personnes quelques jours plus tard ; deux attaques aux armes tranchantes, une à la bombe et une aux armes automatiques frappent l'Allemagne en une semaine ; une bombe explose à Kaboul et tue 80 personnes ; une attaque au couteau est perpétrée dans un hôpital psychiatrique au Japon ; une fusillade en Floride, un putsch militaire en Turquie de 290 morts...

Les crimes de masse et la violence semblent se multiplier en plein été, et surtout se mettent à frapper de plus en plus proche. La couverture médiatique est extrêmement dense, les informations tournent en continu sous fond de préparation des candidatures présidentielles françaises. Parlons d'ailleurs de cette fameuse France.

Orienter la souffrance

Les médias nationaux s'amusent dans leur souci de dévoiler un maximum de chose à préciser sans arrêt la nationalité des tueurs, surtout s'ils sont bi-nationaux, comme si cela pouvait expliquer quoi que ce soit, et n'hésitent pas à brosser un portrait aussi complet que si on se retrouvait dans Faites Entrer l'Accusé. On peut imaginer à quel point les familles des victimes sont contentes de voir afficher dans tous les médias nationaux la photo du tueur, et de voir une cohorte d'experts commenter chaque élément de sa vie.

Ce culte de l'indécence se retrouve évidemment dans la couverture des événements, inutile de revenir sur les bavures journalistiques diverses le soir de la tuerie de Nice, et se télescope dans les divers "réseaux sociaux" à coup d'images et de vidéos chocs. C'est dans ces mêmes endroits que frappe la propagande de Daesh, à grand coup de banalisation de la décapitation.

La mort comme argument politique

L'indécence frappe aussi les milieux politiques. Les opposants s'amusent à accuser François Hollande et ses mesures de sécurité, comme si cela pouvait permettre d'avancer. Ils critiquent des mesures de sécurité qu'ils auraient pourtant appliqué à sa place. Il suffira d'attendre que la droite soit élue et que des attentats soient commis pour prouver que n'importe quel dégénéré pourra toujours réussir à forcer des mesures de sécurité aussi draconiennes soient-elles, à moins d'instaurer une surveillance active pour chaque citoyen.

Les promesses de campagne s'orientent ainsi vers la sécurité toute puissante, les mesures farfelues proposées par les candidats étant légion. A ce titre, rendez-vous ici pour décoder avec le Monde les discours provocateurs du candidat des Républicains Sarkozy. Cette récupération politique conduit de nombreux hommes politiques à essayer de surfer sur la vague de la mort, à grand coups de promesses pour leurs fameux "français" qui ont évidemment grand besoin d'eux si on les écoute attentivement.

Conclusion

Au lieu de compter nos morts et d'être uni comme pendant les derniers attentats, la France s'amuse à rompre son unité nationale grâce aux toutes-puissantes chaînes d'information faisant leur beurre des coupables et des sacrifiés, et surtout grâce aux responsables politiques qui profitent de la situation pour préparer leurs futures campagnes. Les "élites" donnent un bien mauvais exemple, et il serait de bon ton que l'indécence quitte une fois pour toute la politique.

D'après Platon et sa République, l'homme politique doit inspirer la vertu, la justice et la tempérance. Platon était déjà loin du compte à son époque, et ce ne sont pas les scandales judiciaires et/ou monétaires de candidats à la présidence qui permettront d'améliorer les choses.

Bienvenue en 2016.

jeudi 26 mai 2016

Conflit d'Histoire 01 : Le Sengoku Jidai - De la Chine au Japon (1/5)

Même si je suis bien moins actif sur ce blog que sur l'autre, ça ne m'empêche pas d'avoir des projets. D'où ce premier épisode d'une série appelée Conflit d'Histoire où je considère historiquement parlant une période de guerre donnée, et où je déroule un fil synthétique me permettant d'élaborer des thématiques qui m'intéressent, concernant notamment l'aspect militaire (vous n'aurez pas manqué ce sublime titre de série). Pour le premier épisode, nous nous retrouvons au Japon. Bonne route !

Conflit d'Histoire 01 : Le Sengoku Jidai
1467-1615, Japon

De la Chine au Japon (1/5)

Au XIe siècle avant notre ère, les rois Zhous unissent au prix de plusieurs guerres les différents clans peuplant la Chine primitive : ils dominent un espace culturellement homogène au sein de la Plaine Centrale (Zhongyuan), autour du Fleuve Jaune, c'est-à-dire dans la partie orientale de ce qu'on appelle aujourd'hui la Chine. Au VIIIe siècle, leur autorité s'effondre : leur capitale est assaillie à l'ouest par les « barbares » nomades des contreforts, et les rois Zhous sont relégués à l'est. Une multitude de micro-états profite de l'affaiblissement de leur souverain pour exercer leur souveraineté en toute impunité : c'est la période dite des « Printemps et Automnes ». Ce n'est qu'au Ve siècle que la lutte pour le pouvoir s'intensifie, et finit par ne concerner qu'un nombre bien plus restreint d'états, constitués au fil des conquêtes et des héritages : on retrouve ainsi les royaumes de Chu, de Han, de Qi, de Qin, de Wei, de Yan et de Zhao ; c'est la « période des royaumes combattants », ou zhànguó en pinyin. Cette période d’anarchie s’arrête brusquement lorsque l’unité de ce qu’on pourrait appeler la Chine échoit à l’empereur Qín Shǐhuáng du royaume de Qin en -221.


Au Japon, plus de seize siècles plus tard, une situation analogue se forme : l’autorité centrale incarnée par le Shogun s’effondre, et les conflits locaux se multiplient entre les nobles (Daimyo), qui disposent désormais d’un pouvoir territorial et militaire sans égal. C’est la restauration de l’autorité centrale par Ieyasu Tokugawa qui clôt finalement cette période. Les historiens parlent de « l’époque Sengoku », ou « Sengoku Jidai », dénomination qu’on peut traduire par « Période des Royaumes Combattants », en référence au précédent chinois. En l’an 1467, la guerre de l’Onin et le saccage de la capitale de Kyoto montrent l’incapacité du Shogun Ashikaga actuel à maintenir la paix et l'unité. Les rivalités s’exportent ainsi aux quatre coins du Japon, et les petites guerres entre Daimyos se développent. Les luttes permanentes finissent par faire émerger de grands Daimyos ayant réussi à tirer parti de cette période d’anarchie pour affermir leur puissance, et qui tentent de rétablir une hégémonie shogunale sur l’ensemble du Japon. Parmi ceux-ci, trois noms sont à retenir : Oda Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi, et finalement Tokugawa Ieyasu.


Différentes causes mènent le Japon plus ou moins unifié à éclater. La période de troubles induite par cet éclatement mène à la mise en place d'un art de la guerre en pleine mutation, mêlant à la fois nouveaux acteurs et nouvelles pratiques. La sortie de crise, qui se fait dans le sang, posera d'autres problèmes. Et ce sont ces trois thématiques que nous verrons au fil des épisodes.

Tous les épisodes :

1/5 : De la Chine au Japon.
2/5 : La Crise du Sengoku Jidai.
3/5 : Une Nouvelle Ère de la Guerre.
4/5 : Le Temps des Unificateurs.
5/5 : Fermeture et Paix.

Bibliographie indicative :

- Akamatsu, P., « Une histoire du Japon, des origines à 1867 » [Sir George Bailey Sansom, A history of Japan : I. To 1334. ; II. 1334-1615. ; III. 1615-1867.], In Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, n°1, 1967, pp. 178-184

- Otani, Ch., « Le mouvement insurrectionnel du Ikkô-Ikki, adeptes de la secte bouddhique Shin-shû au XVe et au XVIe siècle », In École pratique des hautes études. 4e section, Sciences historiques et philologiques, 1968, pp. 609-612.

- Turnbull, S., Gerrard, H., Ashigaru 1467-1649. Warrior n°29, Osprey Publishing, Oxford, 2001, 64 p.

- Turnbull, S., Samurai Commanders (2). 1577-1638. Elite 128., Osprey Publishing, Oxford, 2005, 64 p.

- Turnbull, S., War in Japan 1467-1615. Essential Histories n°46, Osprey Publishing, Oxford, 2002, 95 p.

dimanche 7 février 2016

Compte-Rendu n°2 : Exposition "Le Roi est Mort" (Château de Versailles)



Introduction

Du 27 octobre 2015 au 21 février 2016 se tient au Château de Versailles une exposition un peu particulière, centrée autour de l’événement majeur de la monarchie française au 1er septembre 1715, il y a trois cents ans de cela : Louis XIV, le monarque au règne de 72 ans, meurt finalement d’une gangrène généralisée après plusieurs semaines d’agonie. Après la Fronde, les innombrables guerres et la domestication de la noblesse dans les magnificences du Château de Versailles, cette mort se devait d’être à l’image des nombreux rituels de la vie quotidienne qui émaillaient la vie de Louis le Grand.
Let's do this !
L’exposition consiste en une dizaine de salles, contenant leur lot de tableaux, d’objets et de quelques panneaux descriptifs. L’essentiel de la visite se fait toutefois grâce à l’audioguide. La question royale de la mort est un sujet suffisamment intéressant en lui-même pour un article, alors allons-y.

a) Première salle : la mort d’un roi

La première salle, où commence et finit la visite, est bercée par la musique de recueillement et plongée dans une semi-obscurité, comme le reste des salles. Le bilan du règne se focalise sur un ensemble assez complet de médailles royales, illustrant des victoires militaires notamment, et l’oraison funèbre consiste à accentuer la réussite du roi dans le domaine du gouvernement, de la guerre, de la diplomatie, de la religion et des arts.

C’est, à peu de choses près, le bilan que retirera Voltaire dans Le Siècle de Louis XIV, paru en 1751.

b) Deuxième salle : l’agonie de Louis

Les premiers symptômes du mal royal apparaissent le 10 août 1715, ce qui n’empêche pas le roi de continuer ses rituels quotidiens et à travailler avec ses ministres. Seulement, le 24 août, la gangrène est diagnostiquée. Le récit du Marquis de Dangeau nous permet de suivre pas à pas la lente agonie du roi.

Après l’extrême-onction et la gestion de la succession, c’est le repos, seul, si ce n’est pour faire des adieux à ses proches le 26 août, au Dauphin de 5 ans, et finalement à Mme de Maintenon le 30 août. On l’aurait entendu dire « Je m’en vais, mais l’Etat demeurera toujours », citation bien plus véridique que celle apocryphe disant « l’Etat c’est moi ». Finalement, à 8h23, le 1er septembre, c’est la fin de l’agonie de trois semaines, et Louis XIV s’éteint. Le roi est mort, vive le roi Louis XV… Mais en fait, pas tout de suite.

On retrouve des tableaux divers, et surtout des extraits de documentaires, comme celui fameux de Sacha Guitry Si Versailles m’était conté (1954).

c) Troisième salle : l’autopsie et l’embaumement

C’est ici que les nombreux rituels se mettent en route. Une demi-heure après la mort, l’autopsie révèle la gangrène qui occupe toute la partie gauche du corps. Un curieux rituel s’engage alors : le roi est ouvert, et les entrailles sont prélevées pour être conservé à part. Même chose pour le cœur. Ensuite, le corps est littéralement empaillé : on y rajoute de l’herbe, du sel et d’autres ingrédients. Le corps est ensuite refermé, entouré de bandages et placé dans un cercueil.

Cette séparation entre le corps, les entrailles et le corps permet de séparer les lieux de sépulture. Ce rituel est courant dans l’Europe monarchique pour témoigner de la puissance des monarques et pour favoriser certains établissements. Dans les vitrines, on retrouve les accessoires des médecins, à l’apparence peu engageante, notamment ceux qui devaient servir à retirer les entrailles ou à ouvrir le corps… Beurk.

d) Quatrième salle : l’exhibition et l’effigie

L’exposition du corps du souverain pendant un certain temps est nécessaire pour la passation des pouvoirs. Deux coutumes diffèrent dans l’Europe monarchique. La première, commune aux Anglais et aux Français, était d’utiliser une effigie en bois représentant le roi, muni des attributs royaux et servi encore pendant un certain temps par les officiers du roi.

Mais la France se met avec Louis XIII à suivre la tradition des Habsbourg commune à l’Espagne et au Saint-Empire Romain Germanique, où c’est bel et bien le corps du souverain lui-même qui est présenté, habillé et couvert des attributs de la royauté.

Pour Louis XIV, cette exposition a duré un seul jour, puisqu’ensuite la chambre de Mercure ne comportait que le cercueil du roi et le reliquaire contenant le cœur du roi. Dans la chambre de Mars, des musiciens jouaient sans relâche. Dans la chambre d’Apollon, 72 membres du clergé récitent des masses et des prières sans discontinuer. Les officiels de la cour et les délégations officiels, en tenue de deuil, venaient asperger le cercueil d’eau bénite. 
Reproduction en miniature de la Chambre de Mercure.
En huit jours, du 2 au 9 septembre, l’exposition du roi était finie, et son cercueil fut transporté à Saint-Denis.
e) Cinquième salle : le deuil de la cour

Un cérémonial suit de facto la mort du roi. Le style vestimentaire a une importance considérable, comme le choix de la couleur, entre noir, blanc et pourpre. Après tout, pendant son long règne, le roi a vu mourir bon nombre de membres de sa famille. C’est lui qui décidait des vêtements d’un grand deuil, d’un petit deuil ou d’un demi-deuil. Les domestiques et même les draps devaient suivre le même cérémonial.

La question des apparences à la cour était cruciale. Et la mort de Louis XIV est restée dans cette mouvance.

f) Sixième salle : la procession

Une fois le roi mort puis exhibé, une longue procession démarre pour le conduire de Versailles à Saint-Denis, sans passer par Paris : cet exploit était assez simple à réaliser puisqu’à l’époque, Paris faisait un peu plus de 13 km2, contre 105 aujourd’hui.

Pour Louis XIV, ou ce qu’il en restait, la procession a duré de 20h le 9 septembre à 6h le 10 septembre, soit 10 heures. Le tout était suivi par 2500 personnes, au milieu des hautbois, des tambours et des torches. Cette longue file de personnes était composée de l’élite de la société, et les plus puissants ne marchaient évidemment point dans leur carrosse.

g) Septième salle : le service funéraire

Pour le cercueil funéraire, on prépare une gigantesque estrade dans Saint-Denis : on appelle cela un catafalque. Celui de Louis XIV est massif, faisant près de 30m de haut, et orné de petites statues symbolisant ses vertus. Du 10 septembre au 23 octobre, le cercueil royal est maintenu dans une chapelle avant l’inhumation finale. 
Reproduction du catafalque (en moins grand et en moins doré)
h) Huitième salle : à Saint-Denis
L’abbaye royale de Saint-Denis a depuis les Mérovingiens un lien étroit avec la royauté à la française, et a été souvent agrandie et rénovée, notamment par l’abbé Suger à la fin du XIIe siècle.

Il s’agit aussi d’une nécropole royale : le premier mérovingien à y être inhumé est Dagobert 1er (602-639), roi des Francs de 629 à 639. Les rois y sont enterrés périodiquement entre les Carolingiens, les Capétiens, les Valois et les Bourbons. Le troisième Bourbon roi de France, Louis XIV, y est en tous les cas enterré.

La cérémonie avant l’inhumation finale dans la crypte se passa de la manière suivante le 23 octobre : d’abord, à la lueur des bougies, la musique royale fut jouée ; puis l’oraison funèbre commença, et dura cinq heures, en présence de tous les officiels, dont le petit-fils du roi, le futur Louis XV. Les bannières furent finalement baissées, les insignes de la chevalerie et de la royauté retirés, et on proclama haut et fort la formule rituelle « Le Roi est mort, vive le Roi ! ».

i) Neuvième salle : tombes et mausolée

Contrairement aux Valois, la crypte royale des Bourbons manquait de grandeur, mais aucun des rois n’eut le temps d’y remédier. Louis XV rejoint son père dans la crypte royale à sa mort en 1774, et tout le monde sait ce qui arriva à Louis XVI le 21 janvier 1793.

Quant au cœur du roi, il fut envoyé aux Jésuites, montrant la faveur royale dont ils bénéficiaient. Ce don du cœur (et des entrailles), au sens propre du terme, permet de se placer sous la protection d’un saint ou de favoriser une fondation pieuse. Le cœur de Louis XIV fut donc transporté dans le Marais, et ses entrailles furent placées aux pieds d’un autel au sein même de la cathédrale Notre-Dame, pour honorer la Vierge Marie.

j) Dixième salle : les cérémonies funéraires royales et leurs conséquences

Après ce très long voyage post-mortem, il convient d’aller encore plus loin. La dernière salle de l’exposition a pour but de montrer comment une certaine tradition funéraire inspirée de la monarchie a perduré. Malgré le sac de Saint-Denis en 1793 et la violation des cryptes royales, qui mettent d’ailleurs fin à tout ce qu’on vient d’évoquer jusqu’ici, la Restauration, mise en place entre 1814 et 1815 par Louis XVIII pendant que Napoléon 1er subit ses dernières défaites remet en place cette tradition : une cérémonie funéraire royale fut instaurée pour Louis XVI et Marie-Antoinette (exécutée le 16 octobre 1793), ainsi que pour Louis XVIII (en 1824).

La modification des pratiques était liée à l’ère du temps, puisque les personnalités royales n’étaient pas les seules à bénéficier de ce traitement. Le 4 avril 1791, la Basilique Sainte-Geneviève est renommée Panthéon, et est destinée à recevoir les restes des grands hommes : le premier panthéonisé après une longue procession au cœur de Paris est Mirabeau (1749-1791), puis le 11 juillet 1791 c’est au tour de Voltaire (1694-1778). Depuis le Panthéon sert encore et toujours à recevoir les restes des grands hommes avec la devise sur le fronton disant « Aux grands hommes la patrie reconnaissante ».

Le convoi funéraire est le même de Voltaire à Victoire Hugo (1802-1885). Ce dernier bénéficie même d’une exposition d’une nuit sous l’Arc de Triomphe. C’est d’ailleurs en cette année 1885 que la Troisième République (1870-1940) prend officiellement comme monument national le Panthéon. L’exposition insiste sur les funérailles du président Sadi Carnot (1837-1894), poignardé par un anarchiste italien le 24 juin 1894 en pleine présidence : il est panthéonisé en grande pompe.

Conclusion

La mort du roi est un sujet cérémonial sensible. Après le règne de Louis XIV et l’étiquette royale stricte imposée à la cour, il ne pouvait en être autrement pour la mort. Chirurgie royale, exposition, deuil, procession, oraison funèbre, inhumation : de la mort du roi à la fin de son parcours ritualisé il se sera écoulé près de 53 jours. Il faudra 53 fois moins de temps pour violer la crypte.

Mais cette tradition funèbre s’est étonnamment transmise à la République. De Mirabeau à Victor Hugo, jusqu’aux derniers panthéonisés de 2015 avec parmi eux Jean Zay (1904-1944), une même tradition se poursuit dans une logique « nationale », autour de ce monument de 1791 qu’est le Panthéon. Processions et services funèbres télévisuels, on se rend bien compte que cette tradition se maintient depuis plusieurs siècles. Dans une République qui a besoin de grandes figures tutélaires, il n’est pas étonnant qu’une mythologie nationale, civique et laïque ait pu être à l’œuvre à partir de la IIIe République : était-elle destinée à remplacer une mythologie royale et religieuse ? Sûrement.