(Cet article est disponible sur mon site). La crise qui s’est ouverte en 2013 au
Soudan du Sud plonge aujourd’hui le pays dans la misère et la famine
: l’état de famine a été décrété le 21 février 2017 et concerne 100 000
personnes, on compte près de deux millions de réfugiés, deux millions de
déplacés, et 300 000 décès dus aux maladies et à la famine. Les rentes
pétrolières qui assuraient l’essentiel de l’économie du pays sont mises à
mal par la multiplication des groupes armés, et la présence de 13 500
Casques Bleus au sein de la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud
(MINUSS) n’y change rien.
Une carte de Radio Canada : on voit bien la prégnance du pétrole ans cet état d’Afrique de l’est.
Le parti au pouvoir, l’Armée Populaire de Libération du Soudan (APLS), se déchire. Fondé en 1983 au sud du Soudan pour lutter contre la perte de l’autonomie et face à la mise en place la loi islamique, l’APLS a déjà eu des problèmes de cohérence interne par le passé, autour de la rivalité entre des groupes, des ethnies, des conceptions politiques et des personnalités. Pour Gérard Prunier, la thèse simpliste permettant d’expliquer le conflit serait d’opposer Salva Kiir, un Dinka, et Riek Machar, un Nuer, autour de rivalités simplement ethniques. La guerre civile qui se déroule dans le 197e état du monde en Afrique de l’est est bien plus complexe.
Trente-neuf années de guerre civile
Ancienne colonie anglaise, le Soudan
gagne son indépendance le 1er janvier 1956. Pourtant, le nord, à
majorité musulmane et bien plus développé économiquement, refuse
d’accorder l’autonomie promise au sud chrétien et animiste à l’économie
pastorale. Après des mutineries, et 17 ans de guerre civile, les accords
d’Addis-Abeba sont signés en 1972 par le général Gafaar Nimeiry
(1930-2009) après son coup d’état. Pourtant, en 1983, le rapprochement
avec les Frères Musulmans pousse le gouvernement à instaurer sur tout le
territoire national la loi islamique, en supprimant l’autonomie du sud,
ce qui le pousse à nouveau dans la révolte. La découverte de gisements
de pétrole dans les zones méridionales à la fin des années 70 attire
d’autant plus les convoitises.
Fondateur de l’APLS, John Garang en 2005, l’année de sa mort.
Le général est vite renversé, les purges
se multiplient au nord tandis que la rébellion sudiste se structure
autour de l’APLS, menée par John Garang (1945-2005). Les conflits
d’intérêt émergent au sein du groupe, notamment entre Nuers et Dinkas,
et le groupe n’est totalement réunifié qu’en 2002, avant la signature de
la paix en 2005 avec le Soudan. Les 23 années de conflits ont fait près
de deux millions de morts et de quatre millions de déplacés. Garang
meurt et est remplacé par Salva Kiir à la tête de l’APLS.
De l’indépendance à la guerre civile
Durant cette phase de transition, on
prépare le référendum, et Riek Machar cumule les postes d’importance :
ministère des finances, des affaires étrangères et en charge des
négociations avec le Soudan. Finalement, le Soudan du Sud vote en 2011 à
98.83% son indépendance, après six ans de transitions. Salva Kiir prend
la tête du 197e état à avoir été reconnu par la communauté
internationale. Mais les élections démocratiques sont repoussées encore
et encore. Le gouvernement de Salva Kiir s’accroche au pouvoir, et ce
dernier conteste l’influence de Machar. En 2013, il purge le
gouvernement et l’armée, et renvoie Machar.
Le président Salva Kiir en 2013.
Lors d’un contrôle de soldats Nuers par
les troupes gouvernementales, composées majoritairement de Dinkas, la
situation dégénère et vire en massacre interethnique, soldant les
comptes de l’APLS. Après 10 000 morts à Juba dans les trois jours
suivant le contrôle, l’APLS explose. Les militaires Nuers forment une
milice et mettent à leur tête Riek Machar. La guerre civile
s’intensifie, et c’est autour des champs de pétrole que se concentrent
les intérêts des acteurs économiques. La Chine fait pression en 2014
pour l’envoi d’une force onusienne de par ses investissements
pétrolifères, tandis que les Nuers font appel au Soudan pour protéger
les champs de pétrole.
La complexité du retour de la paix
Certains expliquent le conflit par la
simple rivalité entre deux groupes ethniques : Dinkas et Nuers, Salva
Kiir et Riek Machar. Pour Gérard Prunier, c’est une illusion. En effet,
après une trêve, le retour à la vice-présidence de Machar en 2016, une
tentative d’assassinat à son encontre, sa fuite et sa mise en résidence
surveillée en Afrique du Sud, la guerre civile est toujours en cours, si
ce n’est que les groupes rebelles sont encore plus fragmentés
qu’auparavant. Pire, ce ne sont pas que les Nuers qui forment
l’essentiel de l’opposition à l’autoritarisme de Salva Kiir : les autres
groupes ethniques ont aussi pris les armes. Quoi qu’il en soit, le
retour à l’union nationale semble pour le moment bien compromis.
Le bilan s’alourdit tous les jours un peu plus, malgré la présence de la MINUSS.
Bibliographie :
- Franck, A., Vezzadini, E., « Le Soudan, cinq ans après l’indépendance du Soudan du Sud », in Egypte / Monde Arabe, 14, 2016
- Lagrange, M.-A., « Soudan du Sud : de l’Etat en faillite à l’état chaotique », in Politique Etrangère, 2, 2015, p.137-143
- Prunier, G., « De la partition à la famine : Frères ennemis du Soudan du Sud », in Le Monde Diplomatique, juillet 2017
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