(Cet article est tiré de mon site internet). Depuis les cinq épisodes de la série Armées d’Aujourd’hui centrée sur l’armée de terre française,
des mutations touchent durablement l’outil militaire français, et
notamment depuis le renouveau opéré par « Au Contact », qui vise à
moderniser les équipements et les dispositifs de l’armée, notamment via
la force Scorpion et le renouvellement des outils de commandement, eu
égard à la modification durable des attributions d’une armée qui
multiplie les opérations extérieures et intérieures, de Chammal à
Sentinelle. Une partie de la réforme concerne la mise en place des
divisions. Nous avons parlé dans un ancien compte-rendu de la vision
divisionnaire d’un De Guibert, nous permettant dans cet article de revenir sur les 250 ans de mutation.
Introduction
Lorsque l’on s’intéresse à à la
division, deux dates viennent en tête. La première, c’est celle de 1772.
C’est la date où le comte de Guibert, fils de militaire et lui-même
militaire, écrit à 29 ans l’Essai Général de Tactique.
Il s’y fait le témoin d’une époque dans l’art de la guerre, et y décrit
les blocages qu’affrontent les stratèges et les tacticiens de tout
bord. Son but est d’élaborer une tactique générale, s’élevant du champ
de bataille, et centré sur un échelon de commandement intermédiaire
entre l’armée et les bataillons. Se faisant le continuateur théorique de
pratiques réalisées par certains commandants de l’armée française avant
lui, il théorise ainsi l’emploi des divisions, comme moyen de diviser
ce large bloc d’homme et d’armes qu’est l’armée en groupes de moindre
taille, bien plus capables de manœuvrer et de se déployer rapidement
pour maîtriser davantage le champ de bataille, et éviter que deux lignes
ne s’affrontent à coup de fusils.
La deuxième date à retenir est 2016.
Présentée par le général Jean-Pierre Bosser, la réforme « Au Contact »
répond aux impératifs des Livres Blanc de 2007 et de 2013 quant aux
opérations extérieures. Le besoin en hommes et en effectifs, ainsi qu’en
capacités de commandement, impose une série de réformes.
Parmi-celles-ci, on note la revalorisation du modèle divisionnaire,
devenu presque lettre morte après la division Daguet et disparue au
moment de la professionnalisation. La division de 2016 est un échelon de
commandement intermédiaire bien plus qu’un outil de la manœuvre
tactique comme l’était la division en 1772 dans la pensée du comte.
Selon les promoteurs de cette réforme, elle déconcentre certaines
capacités de commandement, tout en revenant à la mise en place de deux
divisions sous modèle des « Joint » de l’OTAN, la 1ère et la 3e,
composées de brigades comme en 1959 et en 1967.
Six temps
a) De Guibert (1772)
Le temps initial est celui du comte de
Guibert, autour de l’analyse de son ouvrage, et de l’origine de la
pensée derrière la division. Le comte promeut une vision très
contemporaine de la guerre. Il s’agit selon lui d’attaquer les points
faibles du dispositif adverse de manière à empêcher toute tentative de
riposte pour aboutir à une véritable victoire. En effet, les blocs
d’armée, les lignes de tireurs et l’avantage de la défense créent tout
une série de blocages dans la conduite de la guerre.
La division a pour but de restaurer le
principe de la manœuvre, en plus de diviser l’armée structurellement.
Les divisions doivent être conduites collectivement, au sein de l’armée,
mais aussi individuellement, permettant un déploiement bien plus
rapide. Cela suppose un entraînement important, et des officiers
talentueux. Ces considérations se retrouvent au moment des guerres
révolutionnaires, avec plus ou moins de succès puisque dans certaines
batailles, les divisions sont conduites de manière tellement
indépendantes qu’aucune action collective n’est possible.
b) De Napoléon à la victoire (1796-1918)
Le deuxième temps, assez large, va de
Napoléon à la victoire de 1918. Au contraire des combats parfois
anarchiques de la Révolution, Napoléon Bonaparte utilise de manière
brillante ses divisions au combat en Italie. Entre le Consulat et le
Premier Empire, Napoléon rajoute un échelon supérieur, englobant la
division : le corps d’armée. La division promeut toujours la manœuvre,
mais c’est au corps d’armée qu’incombe la responsabilité de s’occuper de
tous les services annexes des divisions engerbées, du ravitaillement en
nourriture aux munitions.
Toutefois, en plein XIXe siècle,
l’utilisation du corps d’armée et de la division se rigidifie. C’est
particulièrement visible au moment de la guerre contre la Prusse
(1870-1871). Les divisions et les corps d’armée sont montés ad hoc,
faute de structures permanentes, d’autant que les corps d’armée comptent
beaucoup trop de divisions, que les troupes ne sont pas assez
entraînées, et que l’utilisation défensive des divisions prime sur
l’offensive, malgré des carences en artillerie.
L’enseignement militaire se tourne après
la guerre vers l’Allemagne, et les doctrines sont réévaluées à l’aune
de la défaite. On favorise l’offensive, le mouvement, et on réélabore
territorialement les divisions et les corps d’armées, si bien que la
mobilisation est une réussite. Il faudra tout de même un peu plus de
quatre ans de combats pour transformer l’armée française et l’adapter
aux conditions de la guerre de l’époque, à l’artillerie, aux chars et à
l’aviation, après de sévères pertes.
c) De la victoire à l’ère atomique (1918-1959)
Le troisième temps court de la fin de la
Première Guerre Mondiale à la reconfiguration divisionnaire de 1959.
Face à la mécanisation et au choc de l’après-guerre, l’armée française
n’est pas prête pour la percée à Sedan, d’autant plus quand ses
divisions les plus modernes se retrouvent plus au nord, et que les
troupes d’élites allemandes font face à des troupes de réservistes qui
attendent depuis presque huit mois le combat. L’armée de Vichy est vite
dépassée par l’armée de la France libre, tenue par une poignée de
généraux à l’étranger.
Le film traite de la bataille de Dunkerque (20 mai – 3 juin 1940), où les Français résistent à l’avancée allemande pour permettre aux Britanniques d’évacuer leurs troupes.
En conjonction avec les Alliés, le but
du général De Gaulle est de recréer des divisions à partir d’effectifs
français et de matériels étrangers pour participer à la guerre, pour
montrer que la France continue de se battre. Tout l’enjeu de cette
période est donc de constituer les divisions de la victoire. Après la
guerre, la démobilisation pousse le commandement à réadapter sa formule,
eu égard notamment à la guerre en Indochine. On crée les éléments
divisionnaires, des entités plus souples et plus adaptées à ce nouveau
terrain. Mais la menace atomique et la guerre en Algérie poussent à
revoir au contraire le système divisionnaire pour d’une part contrer la
menace de la guerre atomique, et d’autre part avoir des divisions de
contact. On aboutit ainsi aux expérimentations que sont la Division
Mécanique Rapide et la Division Pentomique.
d) Les divisions de la dissuasion (1959-1977)
Le quatrième temps est celui du modèle
de la dissuasion, inaugurant tout une série de réformes en fonction des
nouveaux armements, et plus particulièrement de l’arsenal atomique. Les
divisions sont divisées en brigades. Le changement est décisif : la
décision et l’action sont portées par les brigades, qui ont une vraie
autonomie logistique, là où la division en tant que telle mêle feux
classiques et feux nucléaires.
Moins d’une dizaine d’années plus tard,
les divisions sont encore trop lourdes pour être utilisées
convenablement. On revoit ainsi l’organisation territoriale et
l’organisation divisionnaire, tout en distinguant les forces de
manœuvre, les forces d’intervention, et la défense opérationnelle du
territoire. On distingue donc les divisions de la Première Armée, prête à
combattre contre l’envahisseur soviétique supposé, et les divisions
destinées à intervenir à l’étranger, tels la 9e Brigade d’Infanterie de
Marine et la 11e Division Parachutiste.
e) Les divisions de la bataille (1977-1997)
Valéry Giscard D’Estaing remet au goût
du jour dans ce cinquième temps la notion de « bataille ». La division,
agente puis actrice de la dissuasion, doit désormais s’en démarquer et
être capable de porter le combat. Le général Lagarde réforme l’armée de
terre, endivisionne tous les régiments, même ceux de DOT, pour être
capable de porter le combat en cas de danger, et en fusionnant
commandement territorial et opérationnel, tandis que les divisions
modèle 1977 s’affranchissent des brigades et perdent leurs capacités
nucléaires au profit de l’échelon corps d’armée. Réduites, mais avec une
plus grande proportion de véhicules, la division est désormais à
nouveau l’agent de la manœuvre. Ce rééquilibre de l’appareil militaire
français est complété en 1984 par la création de la Force d’Action
Rapide, regroupant les divisions de l’ancienne force d’intervention,
avec la création notamment de la 4e division aéromobile, regroupant 40%
des hélicoptères de l’armée française.
Le principal tournant de cette période,
c’est celle de la division Daguet, projetée en 1991 pour la Guerre du
Golfe. Pour certains, cette division marque les faiblesses de l’appareil
militaire français : on y envoie que 5% des effectifs de l’armée de
terre, et seulement des professionnels, signe d’un glissement vers la
professionnalisation, et surtout, on pioche des éléments dans près de 80
formations différentes pour constituer cette division, en plus des
lacunes en combat de nuit, en renseignement satellitaire, en
ravitaillement, etc. Le plan Armées 2000 est donc mis en place, et
revalorise l’opérationnel, d’autant plus que la chute de l’URSS implique
une reconfiguration des impératifs pour la division. On réinstaure la
différence entre le commandement opérationnel et le commandement
territorial, on diminue davantage le volume des troupes. Mais c’est
surtout la professionnalisation des troupes qui clôt cette période
charnière dans l’histoire de la division, puisque cet échelon est même
supprimé.
f) De la disparition au retour (1997-2016)
On réinstaure l’échelon de la brigade.
Le commandement divisionnaire ne disparait pas, et reste présent au
niveau des EMF pour projeter sous norme OTAN 2 à trois brigades, mais
ceux-ci finissent par être tous dissous. La brigade répond davantage aux
objectifs opérationnels, divisée en GTIA, et le nombre de brigades
diminue encore. Finalement, après les LB de 2008 et de 2013, et la
priorité aux OPEX puis aux OPINT, on rationalise davantage l’exercice du
commandement par la réinstauration du commandement divisionnaire, et
même par la mise en place de deux divisions, qui sont davantage des
réservoirs de force que des forces projetables directement comme la
division Daguet, mais capables d’agir dans le modèle otanien. On est
loin de la grande tactique d’un de Guibert, mais il s’agit toujours d’un
échelon de commandement spécifique.
Conclusion
Entre échelon de commandement, et agent de la manœuvre, la division et son modèle d’emploi ont oscillé, se sont réadaptés au gré des événements. La division d’ « Au Contact » répond ainsi à un nouvel impératif, au vu d’une force qui multiplie les opérations extérieures. L’armée de terre a en effet glissé au XXe siècle de l’armée de défense et de combat, à l’armée de la dissuasion pour finalement arriver à l’armée de la projection. La division, supprimée face la professionnalisation, est de retour pour harmoniser les fonctions de commandement à toutes les échelles.
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L’armée de terre française :
- Episode 01 : Présentation Historique
- Episode 02 : Les Hauts États-majors
- Episode 03 : Du Troupier au Corps d’Armée
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- Episode 05 : Les Grades
- Episode 06 : La division française
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